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offerte par le globe étant un élément à peu près fixe relativement à la propagation illimitée des organismes, les races les plus aptes à la vie auraient triomphé des autres, de telle manière que le progrès se serait accompli sous l’action de la famine et de la mort. Cette conception est essentiellement propre à séduire un esprit philosophique. De même que l’on peut admettre théoriquement un atome primitif, origine de tous nos corps simples, on pourrait admettre une cellule unique, origine de tous les êtres vivants. Par la lente formation d’agrégats, d’atomes, le globe aurait été préparé pour l’apparition de la vie, et par la lente transformation d’un type élémentaire, très-simple à ses débuts, aurait été préparée l’apparition de l’homme. Cette conception est grandiose assurément. Aussi la conclusion de l’ouvrage de M. Darwin, le plus célèbre des adeptes contemporains de la doctrine, est presque éclairée par un rayon de poésie. « N’y a-t-il pas une véritable grandeur dans cette conception de la vie ayant été avec ses puissances diverses insufflée primitivement par le créateur dans un petit nombre de formes, dans une seule peut-être, et dont, tandis que notre planète obéissant à la loi fixe de la gravitation, continuait à tourner dans son orbite, une quantité de formes admirables parties d’un commencement des plus simples n’ont pas cessé de se développer encore ? » Mais si cette conception est de nature à satisfaire l’esprit philosophique et à éveiller le sentiment de la poésie, elle se trouve à une distance incommensurable des faits, et l’on peut dire des transformistes, qui se considèrent comme les représentants par excellence de la méthode expérimentale, qu’ils ne savent pas de quel esprit ils sont animés. Un grand nombre des naturalistes les plus autorisés, de ceux qui occupent des places éminentes dans la classe des observateurs, dénient au transformisme conduit à ses conséquences dernières le caractère d’une théorie sérieusement appuyée sur les faits. Pour n’en citer que deux, Agassiz[1] et M. Barande[2] affirment que les résultats de leurs recherches ne leur permettent point de souscrire aux affirmations de cette doctrine. Je n’ai point l’intention d’aborder ici cette discussion au point de vue de l’histoire naturelle, et je n’aurais aucune compétence pour le faire ; mais il est impossible de ne pas remarquer que, dans la production du transformisme, la recherche de l’unité a prodigieusement dépassé les limites d’une induction reposant sur une base expérimentale suffisante.

  1. Revue scientifique du 28 mars 1874. Voir aussi le Voyage d’Agassiz au Brésil.
  2. Archives des sciences physiques et naturelles de la Bibliothèque universelle, mars 1872.