Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
revue philosophique

agent doit se rencontrer dans les agents finis ; et cela, comme activité propre et individuelle, puisqu’en dehors de ces agents finis l’absolu n’a pas d’existence effective. » Ainsi apparaît comme possible la coexistence du libre arbitre et de la nécessité, considérés, il est vrai, non plus comme des essences absolues l’un et l’autre, mais comme des attributs relatifs d’un absolu commun. L’acte libre, dans le système de l’immanence, n’échappe point, en tant que libre, à la nécessité : il en implique une part ; et il ne s’évanouit pas moins si l’on retranche l’unité idéale qu’il est appelé à réaliser, que ne s’évanouit cette unité elle-même, si l’on retranche les individus où elle se réalise.

Quel est, maintenant, le mode d’action et de réaction de ces deux éléments ? Peut-on concevoir que la nécessité acquière assez d’empire pour déterminer l’existence de lois stables et générales ?

Tout acte libre a ses conditions dans l’existence d’une tendance interne et de circonstances externes ; et ces conditions constituent pour l’agent une enceinte déterminée qui a sans doute une certaine étendue, et au-dedans de laquelle il peut se mouvoir dans tel ou tel sens, mais qu’il ne saurait franchir sans perdre du même coup la faculté d’agir, sans s’exposer à s’anéantir lui-même. Or, chaque acte libre crée ou augmente une inclination de la volonté vers un certain objet ; et, à mesure que se forment ainsi des habitudes, les actions contraires, exigeant un effort de plus en plus pénible, deviennent, par là même, de moins en moins probables. L’inverse a lieu pour les actions conformes aux tendances préexistantes. En somme, le libre arbitre s’emploie d’ordinaire à choisir, en vertu de l’expérience acquise, le parti qui, dans les conditions où nous nous trouvons placés, est le plus conforme à la tendance prépondérante de notre nature. Quant à ceux de ses actes qui dérogent plus ou moins à cette loi, ils s’annulent sensiblement d’eux-mêmes par leur incohérence, et n’aboutissent à aucun résultat considérable. Et ce qui est vrai de l’individu l’est encore plus de la collection. « L’élément purement individuel de l’homme est périssable ; et il n’est donné à l’individu d’exercer une action étendue et durable, qu’autant que sa personnalité et son activité particulière se mettent au service de la tendance générale, et participent à l’œuvre commune[1]. » Ainsi, soit dans la vie individuelle, soit plus encore dans la vie collective de l’esprit humain, c’est une loi presque fatale, que le contingent pur et simple, relativement indépendant des conditions externes et internes, s’élimine de lui-même, pour laisser se former un processus spécial, distinct sans

  1. Zeller, D. Phil. d. Griech. (4e éd.). I, p. 14.