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il combattait très-vivement la doctrine courante qui assimile les actions réflexes à un pur mécanisme. À ses yeux, un processus ne tombe pas de la sphère mentale dans la sphère mécanique, simplement parce qu’il se produit inconsciemment. Il admet dans la conscience tous les degrés possibles jusqu’à un minimum insaisissable. La sensibilité, pour lui, est une propriété immanente de tous les centres nerveux, petits et grands : c’est une propriété histologique et non morphologique, c’est-à-dire qu’elle est inhérente au tissu, non à la forme de l’organe. La moelle épinière est un centre qui sent « à sa manière » ; l’encéphale n’a pas seul ce privilège. L’hypothèse qui considère le cerveau comme le seul siège de la sensation est, pour M. Lewes, un simple reste des anciennes hypothèses sur l’âme et son siège.

Ramenée à ses principes essentiels, la théorie des actions réflexes, d’après notre auteur, peut se formuler ainsi : « L’action réflexe a lieu sans la coopération du cerveau ; ce qui le prouve, c’est : 1° l’observation des animaux décapités ; 2° notre propre état d’inconscience dans certains cas. » — À ces deux thèses, l’auteur répond : 1° que la preuve tirée des animaux décapités est vicieuse, parce que l’organisme se trouve alors dans des conditions anormales ; le mécanisme est troublé et a perdu quelques-uns des éléments qui le composent. Et ce fait qu’un réflexe a lieu en l’absence du cerveau n’est pas une preuve que, quand le cerveau existe, le réflexe a lieu sans sa participation ; 2° le manque de conscience ne prouve pas que le cerveau n’est pas en action ; puisqu’une partie du travail cérébral se fait sans conscience et qu’il y a des réflexes cérébraux qui ont les mêmes caractères que les réflexes spinaux.

À l’encontre des preuves anatomiques et physiologiques que M. Lewes a entassées pour établir la sensibilité de la corde spinale, il y a un fait, — un fait unique — mais dont il reconnaît l’importance. Le voici : chez des hommes atteints de lésions de la moelle, les membres inférieurs manifestent des actions réflexes et cependant le patient déclare qu’il n’a senti aucune sensation. Ici, il s’agit d’un fait certain, positif, affirmé par un être doué de conscience ; ce qui vaut plus que toutes les inductions fondées sur l’état probable des animaux. — Que peut-on répondre ?

Chez l’homme atteint de cette maladie, on peut dire que momentanément au moins, le mécanisme nerveux est coupé en deux : comment donc le cerveau sentirait-il ce qui se passe dans les jambes ? Si l’on objecte que c’est là justement le point en litige, M. Lewes répond : il est vrai que l’homme lui-même ne sent rien ; le segment cérébral possède les organes du langage et de l’expression pour traduire ses sensations ; le segment spinal, au contraire, n’a pas de moyens semblables de traduire ses sensations ; mais il emploie ceux qu’il a. Vous pouvez poser au segment cérébral une question qu’il comprendra et à laquelle il répondra ; tel n’est pas le cas avec le segment spinal ; cependant, si vous mettez à l’épreuve sa sensibilité, le résultat n’est pas équivoque.