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deux procédés concourent à réaliser la loi générale de l’évolution, l’un comme un procédé interne ; l’autre comme un procédé externe. Après que, sous l’action mécanique du transformisme, deux espèces se sont répandues en un grand nombre de variétés, les deux variétés les plus voisines de ces espèces offrent à la génération hétérogène la transition la meilleure pour la métamorphose du germe. En tout cas, la génération hétérogène et le transformisme ne diffèrent que par le degré, puisqu’ils supposent également que l’évolution organique se fait par des transformations successives. Selon que le saut est plus ou moins grand, on lui donne le nom de génération hétérogène ou de transformisme. Il serait également inadmissible de vouloir exclure complètement la première avec Darwin, ou le second avec Wigand. L’expérience ne pouvant rien décider entre les deux hypothèses, il faut savoir les utiliser toutes deux (29). Les darwiniens croient pouvoir appuyer le transformisme sur les phénomènes de la génération alternante et du dimorphisme, en se servant de ces faits pour démontrer que la production dans la nature d’un type absolument différent de ses parents directs n’est nullement un fait exceptionnel. Mais on ne voit jamais que l’un des deux types dimorphes d’une espèce, ou l’un des types d’une génération alternante se perpétue sous sa forme particulière. Si cela, d’ailleurs, s’était jamais produit (et rien ne prouve que le passage des vers aux insectes, des poissons aux amphibies ne s’est pas effectué ainsi autrefois), la génération hétérogène, c’est-à-dire la doctrine des transformations brusques, en devrait seule tirer avantage (31).

L’embryogénie n’est pas d’ailleurs favorable à la cause du transformisme, ou des transformations insensibles, infiniment petites, puisque « la première apparition dans l’embryon de la cellule mère du nouvel organe, chez l’espèce qui n’en est pas encore munie, se produit toujours comme un fait nouveau et brusque » (33). — La paléontologie fournit trop inégalement les échantillons nécessaires pour combler les grandes lacunes de nos classifications ; et le transformisme ne peut s’autoriser de témoignages aussi incertains, aussi incomplets. — Il n’est pas plus heureux avec la flore et la faune de l’époque actuelle. Que les espèces vivantes résultent de monstruosités ou de simples variations morphologiques, « du moment où elles ne sont pas dues à la variation du milieu extérieur, mais à une modification spontanée dans la génération, elles arrivent sous nos yeux d’un seul coup », donc par génération hétérogène. Le transformisme n’en a pas moins son utilité mécanique, comme nous le montrions plus haut, pour épuiser la série des variétés au sein de chaque espèce et réduire l’intervalle que la génération hétérogène doit franchir.

Le transformisme exprime encore une grande vérité, que Wigand a tort de méconnaître, à savoir : que l’idée d’espèce est essentiellement indéterminée. Il soutient victorieusement la variabilité, la plasticité des formes spécifiques. Prendre la fécondité parfaite du croisement (43) comme signe de l’espèce, c’est se heurter contre le témoignage irré-