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boutroux.zeller et l'histoire de la philosophie

mais le concept de la liberté y conservait un vague qu’il était nécessaire de dissiper.

Il s’agit proprement de savoir en quoi consiste la contingence ; si elle est possible ; enfin si la liberté implique le moment de la contingence, et en quel sens elle le peut impliquer.

Nous devons entendre par contingence, non, avec Hegel, une apparence illusoire, rentrant, en définitive, dans la nécessité, mais la propriété inhérente à l’acte volontaire de n’être déterminé entièrement, ni par les circonstances extérieures, ni par la nature interne ou les actes antérieurs de l’agent lui-même.

Ainsi définie, la contingence est-elle possible ?

Au point de vue logique, le contingent est l’objet immédiatement donné, indépendamment de ses rapports avec les autres objets. Mais une telle contingence n’est qu’une conception provisoire de l’esprit.

Au point de vue physique, le contingent est l’apparition, au sein d’une sphère naturelle donnée, d’un phénomène qui est déterminé, non par les lois immanentes à cette sphère, mais par l’intervention de lois propres à une autre sphère. Tel serait le cas d’un corps lourd qui s’élèverait dans l’air. C’est déjà en ce sens qu’Aristote, au fond, définissait le συμϐεϐηκός (Phys. II. 5 ; Met. V, 30). Ici encore la contingence n’est que relative. Elle s’évanouit, quand, du particulier, on passe au général et au tout.

Ce n’est que dans l’ordre psychologique que nous pouvons chercher le principe d’une contingence absolue. Mais le déterminisme de la nature ne nous ferme-t-il pas cette voie dès le début, ainsi que le soutient Romang[1] ?

Que devient la science, nous dit-on, si le hasard règne dans l’univers ? — Nous répondons que la Science a pour objet, non les faits particuliers, mais seulement les lois générales, et que la contingence dont il s’agit ne porte que sur les faits particuliers.

Que devient, ajoute-t-on, l’ordre du monde ; et qui nous répond que le désordre partiel introduit par l’homme n’aura pas un contrecoup sur l’ensemble ? — Mais la volonté humaine a, en tout cas, sa limite infranchissable dans les lois de la nature et de la matière elles-mêmes. L’homme, selon nous, ne peut créer ni matière, ni force. Il n’a d’action que sur le mode d’emploi de la matière et de la force préexistantes.

La contingence est donc possible. Mais est-elle réelle ? est-elle impliquée par la volonté ?

Une volonté est une subjectivité qui se détermine elle-même.

  1. Ueber Willensfr. u. Determinismus, Bern, 1835.