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boirac. — l’espace d’après clarke et kant

une forme de l’intuition pure, avec cette différence toutefois qu’il s’agit pour Kant de l’intuition humaine qui est essentiellement passive, et pour Clarke de l’intuition divine qui ne peut être qu’absolument active.

3° L’Espace, d’après Kant, est nécessaire, et il emprunte cette nécessité à celle du sujet sentant. En effet, nous ne pouvons pas savoir à priori quelles espèces de sensations nous éprouverons dans l’avenir : mais nous pouvons savoir à priori que, quelles qu’elles soient, elles seront nécessairement assujetties aux conditions que leur impose la nature de notre sensibilité : « Quidquid recipitur, disaient déjà les scolastiques, recipitur ad formam recipientis. » Il ne se peut pas que des sensations soient reçues en nous ailleurs que dans l’espace, c’est-à-dire dans le lieu même des sensations, parce qu’il ne se peut pas que le sujet sentant soit extérieur et étranger à ce qu’il sent.

De même, d’après Clarke, l’espace est nécessaire, et il emprunte sa nécessité à celle de l’être dont il est un mode. En effet, toutes les réalités supposent évidemment l’existence d’une réalité nécessaire : rien ne peut être, si l’être par soi n’existe pas. L’espace, qui est un attribut de cet être, est nécessaire comme lui. De plus, aucun être n’existant que par l’action de l’être nécessaire, et l’espace étant le mode selon lequel cet être se rend présent aux différents termes de son action, aucun être ne peut exister en dehors de l’espace. Les conditions générales de l’existence s’imposent nécessairement à tout ce qui est.

Au contraire, d’après Descartes et Leibniz, l’espace est contingent, comme les corps, comme les perceptions de monades, dont il n’est qu’un mode.

Telles sont les analogies des deux doctrines : voyons maintenant les différences.

1° La première, la plus importante, c’est que l’espace est objectif, d’après Clarke, et subjectif d’après Kant. Sans doute, à parler absolument, l’espace de Clarke est l’attribut d’un sujet : mais ce sujet n’est pas le nôtre : relativement à nous, il est objet. Si donc l’espace est pour Dieu la condition de l’intuition qu’il a des choses, il est pour les choses et pour nous une condition d’existence. — L’espace de Kant est exclusivement propre à notre sensibilité et aux phénomènes qu’elle reçoit : les choses en elles-mêmes et par conséquent Dieu n’ont aucun rapport avec lui ; c’est la condition de notre intuition ; ce n’est pas une condition d’existence, — sinon pour les choses telles qu’elles nous apparaissent, l’esse et le percipi ne faisant qu’un pour ces choses.

Il en résulte que le contenu de l’espace n’est plus le même dans les deux doctrines. L’espace de Clarke contient des réalités proprement dites : l’espace de Kant ne contient que des sensations, les phénomènes des réalités.

Il en résulte aussi que la nécessité de l’espace est absolue dans l’une des doctrines, relative dans l’autre. Rien ne peut exister en dehors de l’être nécessaire : les choses mêmes existent vraisemblablement en dehors de notre sensibilité. Les conditions de l’espace s’imposent, selon