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delbœuf. — formation de l’espace visuel

avait assisté à toutes les batailles de la vie. Rien d’étonnant dès lors qu’aujourd’hui encore il s’arroge le soin de contrôler et de corriger les nouvelles recrues, qui sont appelées sans doute à un brillant avenir, mais qui ont encore toute l’inexpérience et la témérité de la jeunesse. Le jeune Noé M. n’avait donc pas tout à fait tort, dans les premiers jours, de n’avoir confiance que dans les indications d’un ancien serviteur qui, jusqu’à ce jour, ne l’avait jamais trompé.

On remarquera sans doute que la vue, l’ouïe, l’odorat lui-même semblent fonctionner à distance, tandis que le toucher n’agit qu’au contact. C’est là une différence superficielle qui a trompé même M. Riehl. La lumière n’excite le nerf optique que par l’intermédiaire des vibrations de l’éther venant à frapper la rétine. Pour l’ouïe, il faut les vibrations d’un milieu élastique en contact avec l’oreille interne ; les odeurs ont besoin d’être portées par l’air jusqu’à la muqueuse nasale ; et le sens de la température ne pourrait entrer en exercice si l’éther ne transportait pas jusqu’à la peau les vibrations calorifiques des corps. La présence d’un obstacle résistant pourrait aussi se faire sentir à distance si la peau était plus sensible aux modifications de l’air dans le voisinage des corps solides. Et c’est ce qui a lieu en fait dans une certaine mesure : on sait qu’une chauve-souris à qui l’on a enlevé la vue, se dirige avec la plus grande sûreté à travers les dédales les plus enchevêtrés des grottes et des cavernes. Le toucher est donc pour elle une seconde vue, et ses deux ailes lui servent d’yeux, exactement selon les principes exposés plus haut.

Résumons-nous. Tous les sens sont susceptibles de nous fournir des sensations mêlées à la perception de l’étendue. Il n’y a entre eux à cet égard que des différences de degré provenant soit d’une imperfection relative dans les muscles des organes, soit d’un manque d’exercice. La perception de l’étendue est ajoutée à la sensation, mais ne lui est pas attachée comme qualité intégrante et essentielle.

L’idée de l’espace est donc propre à tout être doué de motilité. Un animal sans yeux, sans oreilles, sans odorat, sans goût, du moment qu’il se meut en sachant qu’il se meut, se fait de l’étendue la même idée que nous. Il sait ce que c’est que l’avant, l’arrière, le bas, le haut, la droite, la gauche, s’il a un avant et un arrière, une droite ou une gauche, et, s’il a beaucoup de bras comme un poulpe, il sait où est situé l’objet qui touche un de ses bras, et il saurait, au besoin, l’atteindre avec les autres. Ceci est confirmé par une observation de mon ami E. Van Beneden, qui est à peu près de même nature que celle du docteur Kollmann sur un poulpe des aquariums