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delbœuf. — formation de l’espace visuel

le mécanisme d’un organe double. Chacun d’eux, pour sa part, procure des indications d’après lesquelles nous concluons la situation de l’objet. Mais ces indications, si précises qu’elles soient, sont cependant affectées d’un certain degré d’indétermination. Grâce aux informations provenant d’une autre source, cette indétermination disparaît en partie. Et certes, pour l’annihiler complètement, je ne sais pas même s’il suffirait d’un troisième œil. Quand, par exemple, à l’aide d’un vilebrequin, on veut forer un trou bien central dans un manche, il n’est pas facile d’y parvenir ; on doit souvent tourner le manche ou changer de position, parce que, si l’on peut être sûr de placer le trou dans un plan vertical passant par l’axe du foret et divisant en deux l’angle formé par les rayons visuels, on n’a, par contre, aucun moyen de contrôler l’inclinaison de cet axe dans ce plan. L’on se prend à regretter, en pareil cas, que le temps n’ait pas encore réalisé cet avenir rêvé par Fourier pour notre race qui doit être un jour dotée d’une longue queue oculaire.

Mais, laissant là les utopies et revenant à la réalité, nous avons à examiner les avantages qui résultent du doublement des yeux composés. Ils sont assez connus. Le stéréoscope a mis en évidence ce point que, si nous portons un jugement immédiat sur la forme des objets, cela provient de ce que chacun de nos yeux en reçoit une image différente. Il est cependant nécessaire de serrer le problème d’un peu plus près pour nous rendre un compte exact du procédé suivi par la nature et du rôle que joue ici la tache jaune.

Si les yeux sont composés de tubes élémentaires indépendants, on conçoit sans peine comment, au moyen d’un couple a et a’ de ces tubes, on détermine la position du point A ; au moyen du couple b et b’, celle du point B, et ainsi de suite. On peut aller un peu plus loin, et admettre une certaine division du travail ; c’est ce qui aurait, lieu, si à chaque tube de l’œil droit correspondait spécialement un tube de l’œil gauche, de manière que la position des points lumineux serait déterminée par le concours d’un certain nombre de couples fixes. En d’autres termes, notre colimaçon fictif n’aurait pas seulement deux cornes, mais il posséderait comme plusieurs têtes armées chacune de deux cornes marchant de concert. Cette supposition ne donne pas lieu à des difficultés et je n’insiste pas.

Mais il n’est pas aussi facile de saisir le mode de fonctionnement de deux yeux complexes, c’est-à-dire, dont les tubes sont solidaires, comme c’est le cas pour la plupart des animaux et notamment pour l’homme. C’est ce mode que je vais tacher d’exposer.

Imaginons donc trois points de l’espace A, B, C. Ils viennent affecter trois points a, b, c, de la rétine de l’œil droit, et trois