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recevrions de cette façon. C’est ainsi que le même observateur, pour étudier un même phénomène céleste, va se placer tour à tour à deux points différents de la Terre. Seulement les deux images distinctes qu’un œil unique peut nous fournir successivement du même objet et qui doivent nous permettre de porter sur sa forme un jugement plus sûr, nos deux yeux nous les donnent simultanément ; il y a, par conséquent, économie de temps ; et, comme nous n’avons pas à retenir une impression passée pendant que nous recevons actuellement une autre impression, il y a économie d’effort.

La duplicité des organes sensoriels permet à l’animal de projeter la cause de sa sensation à une distance déterminée. Je disais tantôt qu’il possède déjà certaines indications provenant de l’intensité de la sensation qu’il éprouve. Mais si, comme c’est le cas ordinaire, il a deux yeux, deux télescopes qu’il puisse diriger sur l’objet, la détermination du lieu que cet objet occupe lui devient facile ; la source lumineuse est nécessairement à la rencontre des axes de ses deux lunettes. Il peut donc, d’après la nature particulière des efforts qu’il doit faire pour regarder fixement le point brillant, porter un jugement sur la situation de ce point. Or nous pouvons imaginer sans peine qu’il possède deux télescopes pour les odeurs, si je puis ainsi parler ; ils lui rendront un service tout à fait semblable pour déterminer avec précision l’endroit d’où elles émanent. Il est peu probable toutefois qu’il se rencontre un animal conformé de cette façon. En général, il lui sera plus commode, pour explorer l’espace, de se servir d’un sens plutôt que d’un autre, et ce dernier restera relativement stationnaire tandis que le premier progressera et développera ses aptitudes.

Enfin, on accordera sans difficulté qu’on pourrait avoir aussi deux télescopes auditifs, magnétiques, thermiques, hygrométriques — je ne dis pas gustatifs, parce que le sens du goût n’est affecté que par le contact, et que le goût anticipé est, tout bien compté, purement et simplement une odeur.

En fait d’ailleurs, les oreilles mobiles de certains animaux remplissent parfaitement cet office, et les nôtres même, quoique immobiles, vu leur écartement nous renseignent avec assez d’exactitude sur le lieu d’origine d’un son ; et l’on sait comment, dans l’indécision, nous tournons la tête à droite et à gauche pour nous bien assurer d’où il vient. Et certainement si nos deux narines, au lieu d’être réunies au-dessus de la bouche dans un but facile à saisir, étaient ainsi diamétralement opposées, l’odorat jouirait à cet égard des mêmes propriétés que l’ouïe.

Le peu de mots que nous venons de dire explique suffisamment