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le fond de l’œil et les sommets A et C viennent s’y représenter en d’autres lieux que tantôt. L’image du point B, à mesure qu’elle s’est rapprochée de la tache jaune, a changé dans sa marche graduellement de caractères au point que, à la suite d’un certain exercice, je puis juger du lieu où elle s’est formée et savoir, par conséquent, ce qu’il faudrait faire pour l’amener sur la tache jaune. C’est ainsi que, si dans l’obscurité je touche un objet du pied, je sais où poser la main pour le prendre. Je puis donc de science certaine suivre dans leur voyage les points A et C et reconnaître chaque fois où ils se trouvent placés. En un mot, je me suis tellement familiarisé avec la topographie de mon œil que je distingue la figure d’un triangle, quel que soit le point sur lequel j’arrête spécialement mon regard.

On voit ainsi quelle différence il y a entre le système d’une multiplicité d’yeux simples et le système d’un œil composé. Là chaque point de l’espace, pour être vu, doit être fixé. Ici un point seul est fixé, les autres sont vus et c’est par la manière dont ils sont vus que nous concluons leur position. On objectera peut-être que tous les yeux composés ne renferment pas nécessairement ce centre spécialement sensible. Sans doute ; mais, en fait, un œil composé ne peut être homogène, chaque point de la rétine donne à l’image qu’il reflète un caractère sui generis ; et cela suffit. C’est ainsi que, si l’on touche la paume de la main avec une tête d’épingle, je puis assigner la partie touchée, bien qu’il ne s’y trouve pas de lieu jouissant de propriétés analogues à celles de la tache jaune.

Si nous appliquons maintenant ces considérations à l’odorat, il est de toute évidence que la muqueuse olfactive, composée comme nous l’avons plus haut imaginé, jugera de la forme d’une figure odorante exactement de la même manière et avec la même précision.

On comprend dès lors comment il se fait qu’un point lumineux se détache toujours sur un fond obscur, en d’autres termes, que la sensation de lumière soit pour ainsi dire mêlée d’une façon inextricable avec la perception d’une surface. Mais c’est là un accident. Si notre nez était constitué comme notre œil et exercé dans les mêmes directions, la sensation d’odeur se détacherait sur un fond inodore et serait inséparable aussi de la notion de l’étendue. D’ailleurs une sensation de brûlure nous fait l’effet aussi de s’étendre sur une certaine surface.

Il peut se faire également que ce soit une absence de sensation qui se détache sur un fond sensible. C’est ce qui produit la pseudo-sensation du noir sur laquelle on a tant discouru et qu’on discute