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delbœuf. — formation de l’espace visuel

aussi, au fond, la constitution de notre œil. Car, quand il est fixe, chaque point d’une figure lumineuse vient affecter une place déterminée de la rétine, exactement comme si les rayons qui en émanent étaient rassemblés en faisceau et conduits à travers un tube étroit jusqu’à cette place. L’œil nous fait donc l’effet d’une série de petits télescopes se croisant à peu près vers son orifice. Et quand nous mouvons soit la tête, soit le globe oculaire, nous transportons d’un seul coup tout ce système télescopique d’un lieu à l’autre, nous faisons traverser au tube fictif b ce qui tantôt pénétrait dans le tube a, en d’autres termes nous déplaçons l’image sur le fond de la rétine.

Avant de continuer, remarquons que ce que nous disons d’une surface lumineuse qui vient se peindre sur la rétine pourrait s’appliquer littéralement à un appareil olfactif construit sur le même modèle. Alors chaque point d’une surface odorante viendrait se peindre en un point déterminé de la muqueuse, et l’ensemble de ces images constituerait la représentation de la surface. Et en écartant ce nez on déplacerait aussi cette image et l’on pourrait ainsi étudier le champ des parfums. Il suffit pour cela de placer devant la muqueuse un milieu capable de réfracter les odeurs.

On voit en quoi consiste la différence entre ce système télescopique dont les parties sont solidaires et l’œil composé de plusieurs yeux élémentaires à mouvements indépendants. Dans la supposition des yeux libres, chaque œil pour soi détermine la place d’un point de l’objet, et le jugement sur la configuration de celui-ci se compose d’une somme de jugements isolés. Dans le système de l’œil complexe, du moment qu’un endroit de la rétine reçoit l’image d’un point quelconque de l’espace, la figure considérée se dessine d’une façon déterminée sur le reste de la surface sensible. De sorte que, si ce même point de l’espace vient se fixer sur un autre endroit de la rétine, l’image réfractée se déplace nécessairement.

Comment donc, puisqu’il en est ainsi, se tire le jugement d’ensemble sur la forme de la figure extérieure ? Ce résultat est obtenu d’une manière très-simple. La surface rétinienne renferme un point central (la tache jaune) particulièrement sensible, en ce qu’elle donne l’image la plus nette, la moins diffuse, d’un point lumineux. Ainsi, quand en regardant un triangle ABC tracé sur la planche noire je fixe son sommet A, j’en amène l’image sur la tache jaune. Pendant qu’elle y est tracée, les autres parties du triangle, ses côtés, sa base, ses deux autres sommets viennent se peindre sur d’autres endroits de la rétine, mais d’une manière plus ou moins confuse. Si maintenant, conduisant la tache jaune le long d’un côté, j’arrive à considérer un autre sommet B, l’image du triangle glisse sur