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santé, par exemple, nous ne distinguons rien, ne voyons rien, n’entendons rien ; nous sommes uniquement étourdis et absorbés par le bruit.

Mais ordinairement l’œil et l’oreille nous donnent des impressions affectant peu la sensibilité générale, c’est-à-dire, contribuant dans une très-faible mesure à notre bien-être ou à notre malaise ; elles nous laissent ainsi plus libres de porter notre attention sur les phénomènes accessoires qui les accompagnent. De là vient que, si un son quelconque attire notre attention, nous tendons une oreille, puis l’autre, et pouvons sans trouble nous enquérir de la cause qui l’a produit. Cette propriété est une des raisons pour lesquelles nous avons exercé ces deux sens à nous renseigner sur ce qui arrive dans l’espace qui nous environne. Mais c’est là une faculté connexe, surajoutée, mais non essentielle ou consécutive. Les êtres sans yeux et sans oreilles explorent l’espace au moyen d’autres sens qui leur rendent des services tout aussi précieux. Nous pouvons donc — pour le moment du moins — dire, comme Condillac, que le colimaçon, sujet de nos suppositions, sent la lumière et les odeurs comme des modifications générales de son être dont la cause est projetée par lui en dehors de lui et à une certaine distance.

III

Maintenant allons plus loin. Tenons-nous à l’idée d’une rétine ou d’une muqueuse minuscule située au fond d’un tube étroit qui, lui, est mobile au gré de l’animal, soit que cette mobilité lui soit imprimée par les mouvements généraux du corps, soit qu’au contraire elle soit spéciale à l’organe qui tournerait autour de son point d’attache. Nous pouvons imaginer que l’animal ait un œil composé d’un nombre plus ou moins grand de ces tubes. Dans ce cas il peut avoir une connaissance simultanée d’une série de points, tandis qu’auparavant il ne pouvait les connaître que successivement.

Il y aurait à distinguer deux espèces de composition : celle où les yeux élémentaires sont doués de mouvements indépendants l’un de l’autre, et celle où ils sont unis de façon que leurs mouvements soient solidaires. C’est ce dernier genre d’œil composé qui doit nous intéresser spécialement. On conçoit sans peine que, si les tubes sont en nombre suffisant et suffisamment serrés l’animal aura d’emblée la notion d’une surface. Or telle est, en somme, à quelques différences près, la constitution de l’œil de l’insecte. Et telle est