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celles-là mêmes d’où dépendent toutes les autres ? Cette science a donc l’infirmité singulière d’en être, aujourd’hui encore, à chercher sa voie, à attendre une vérité de quelque importance qui soit universellement admise. Aussi l’histoire de la philosophie est-elle l’objet des interprétations les plus diverses. Tandis que M. Zeller la construit étage par étage, de manière à en former un édifice harmonieux et solide, tel philosophe[1] estime que l’ancienne physique est, en somme, supérieure à toute la philosophie ultérieure, laquelle n’a eu d’autre rôle que de montrer l’impuissance de la méthode subjective à atteindre le but objectif, judicieusement posé par les premiers physiciens. Tel autre[2] met hors de pair l’antique Héraclite, pour avoir entrevu l’identité de l’être et du non-être. Les matérialistes ne voient pas que la philosophie proprement dite ait sérieusement progressé depuis Démocrite. Les panthéistes trouvent l’hylozoïsme antique très-supérieur au dualisme cartésien. Chacun, en un mot, apporte à l’étude de l’histoire de la philosophie des opinions personnelles, et place l’apogée de la philosophie à ce point, voisin ou reculé, de l’espace et du temps, où s’est réalisée la doctrine qui lui agrée le plus.

Vient-on, d’ailleurs, à considérer un système philosophique quelconque, même moderne, on est frappé de la différence qu’il présente avec une œuvre véritablement scientifique. Si la philosophie d’Aristote est, aujourd’hui encore, pleine de mystères, pouvons-nous dire que le système de Kant soit uniformément compris ? Nous assistons en ce moment à une réforme du Kantisme tendant à établir que les principes du maître ont été faussés par ses continuateurs, et que c’est le réalisme, non l’idéalisme, qui est le fruit légitime de la critique kantienne. Il arrive à Kant, conformément à une loi qu’il a lui-même posée, ce qui arrive à tous les grands philosophes : chacun y trouve, en définitive, ce qu’il y cherche, chacun y voit ce qu’il y met. Le texte qu’il nous offre demande à être interprété par un esprit ; et l’esprit n’y rencontre point ces formules et ces raisonnements véritablement scientifiques, qui enchaînent sa liberté. La littérature a une part, et une part importante, jusque chez un philosophe aussi sévère que Kant ; et les magnifiques invocations de l’homme d’honneur au devoir et à la vertu désintéressée sont peut-être des arguments plus puissants que les subtiles déductions du logicien et du critique. Reste-t-il bien sur le terrain de la science, celui qui, pour définir la marche générale de sa philoso-

  1. Lewes, The history of Phil., I, 103, et pass.
  2. Lassalle.