Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
boutroux. — zeller et l’histoire de la philosophie

moral aux mondes physique et intelligible ? Philosophie objective, tour à tour physique, logique et morale : tel est le cadre de la philosophie grecque et de ses grandes périodes.

Les différences qui séparent les systèmes tiennent d’une manière générale à l’effort que fait l’esprit humain pour se frayer des voies nouvelles, quand il a constaté que les voies battues ne mènent pas au but qu’il poursuit. Elles consistent dans des rapports de dérivation, d’opposition et de combinaison.

Ainsi[1], Parménide est lié à Xénophane par un rapport de dérivation. Il développe le principe du maître d’une manière plus conséquente et plus complète, éliminant les éléments étrangers et donnant à la doctrine une homogénéité rigoureuse. Xénophane avait affirmé l’unité de l’être sans la démontrer et sans en déduire la négation du multiple et du changeant. Parménide fonde l’unité de l’être sur sa nature, sur cette propriété qu’il a d’être le même en toutes choses ; et, soutenant que l’être seul peut être exprimé et pensé, il en conclut que le non-être, c’est-à-dire le multiple et le changeant n’existe absolument pas.

La doctrine extrême à laquelle il aboutit détermine une réaction représentée par Héraclite qui est ainsi, à l’égard de Parménide, dans un rapport d’opposition[2]. Héraclite, voulant avant tout assurer la réalité du changement, en fait la loi essentielle et primordiale de l’être.

Enfin la philosophie d’Empédocle, comparée à celles d’Héraclite et de Parménide, nous offre l’exemple d’un rapport de combinaison. Héraclite a déterminé une évolution dans la philosophie physique en substituant au problème de la matière universelle celui du changement. D’un autre côté, Parménide a montré que l’être proprement dit ne change pas. Empédocle s’efforce de répondre à la question posée par Héraclite en évitant les objections d’un Zenon d’Elée, disciple de Parménide. Il imagine donc une philosophie mécaniste expliquant le mouvement par le rapprochement et la séparation pure et simple de substances qualitativement immuables.

3. Cette recherche des liens qui unissent les systèmes les uns aux autres doit d’ailleurs être exempte de parti pris, et s’arrêter, s’il le faut, devant la situation plus ou moins isolée que peut avoir eue un homme ou une école. Parmi les tentatives de l’esprit humain, il en est qui ne viennent pas à leur heure, qui sont en opposition tranchée avec l’ensemble au milieu duquel elles se produisent, et qui, par

  1. I, 508.
  2. I, 673. — I, 758.