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naville. — principes directeurs des hypothèses

ligne de démarcation entre la nature animale et la nature humaine, ce qui soulève de nombreuses objections. En réalité, le principe directeur des hypothèses pour l’explication de la vie psychique des animaux nous manque encore, parce que l’idée de la nature animale n’est pas scientifiquement établie ; c’est pourquoi la question est presque toujours traitée par des a priori philosophiques. On fait des animaux tantôt des machines et tantôt des hommes, et ni l’une ni l’autre de ces conceptions ne répond aux exigences d’une théorie sérieusement expérimentale. Un savant contemporain[1] nous propose bien de partir de l’idée que les animaux sont « des machines conscientes » ; mais c’est là une solution purement verbale, qui devient inintelligible dès qu’on la serre de près. En effet, si l’on attribue la conscience à la machine elle-même, on sort manifestement de toutes les données de la science de la matière. Si l’on traduit cette formule en disant que les animaux sont déterminés dans toutes leurs actions par des influences extérieures, qu’ils présentent des manifestations psychiques : sensibilité, intelligence, désir, mais sont destitués de tout principe de libre arbitre, on énonce une thèse, vraie peut-être, et qui me paraît probable ; mais on fait du terme machine un emploi abusif et, comme l’acte de la volonté est chez nous le fond de la vie spirituelle, la conception d’une vie psychique privée de cet élément nous reste profondément obscure.

Lorsqu’il s’agit de l’homme, les données de la conscience nous sortent de cette obscurité. Les mots qui désignent les phénomènes de la sensibilité, de l’intelligence et de la volonté ont pour nous un sens aussi clair que ceux qui désignent les phénomènes de la matière. L’objet spécial de la psychologie, en donnant à ce terme son sens le plus général, est la volonté qui suppose indivisiblement la sensibilité, l’intelligence et l’activité, de même que la conception du corps suppose indivisiblement, dans la résistance qui est sa notion fondamentale, les trois dimensions de l’espace. L’homme est doué d’une liberté relative ; il est soumis à la loi des penchants et obligé par la loi du devoir. L’action qu’il exerce, à dater du premier et du plus intime des phénomènes cérébraux, entre en combinaison avec tous les faits de l’ordre biologique et de l’ordre physique, mais les fonctions spirituelles en elles-mêmes, échappent à un déterminisme absolu. Selon la judicieuse remarque de M. Claude Bernard, l’acte libre existe dans la période directrice des phénomènes volontaires ; le déterminisme se manifeste dans la période exécutive[2], puisque

  1. M. Dubois-Reymond, si je ne me trompe.
  2. Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France page 233.