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analyses.mamiani. Compendio e sintesi.

ce côté des monts, la volonté a servi de point d’appui et l’ordre de la pensée a été subordonné à celui du cœur. On a volontiers suivi Kant dans la Critique de la raison pure, mais, pour le suivre encore et même le dépasser dans la Critique de la raison pratique : avec Pascal, on a renoncé à l’attirail des preuves géométriques, et l’on a cru s’élever plus sûrement vers Dieu sur les ailes de l’amour. Au contraire, ici la raison spéculative garde ses droits ; la critique kantienne est non avenue ; c’est proprement le triomphe de la géométrie scolastique. On est bien plus près du moyen âge en Italie que chez nous. Un membre de la Société de Jésus vient d’y rééditer une philosophie scolastique où il ne prétend pas, il est vrai, suivre la méthode expérimentale, mais où il débute, tout comme M. Mamiani, par le concept de l’être et le principe de contradiction. Certes, les deux livres ne peuvent être comparés, quant à l’originalité des développements et à l’ampleur de la forme, mais leur rapprochement est instructif pour qui veut apprécier exactement ce que la métaphysique italienne apporte au fond de nouveau dans les controverses de ce temps. On ne peut, à coup sûr, soupçonner M. Mamiani d’ignorer systématiquement les doctrines modernes, qu’il combat avec tant de verve dans sa Revue philosophique ; cependant on préférerait le voir aux prises avec quelques adversaires connus, plutôt que d’avoir à le suivre à travers ses déductions par trop impersonnelles, renouvelées de saint Thomas. Il eût été intéressant surtout de savoir pourquoi il repousse la méthode à laquelle nous faisions allusion tout à l’heure, et qui conduit peut-être moins péniblement aux mêmes résultats que la sienne. Bref, le seul reproche que nous nous permettons de lui adresser (et ce ne sera pour nous qu’un moyen de caractériser l’ouvrage) est d’avoir conçu cette métaphysique de telle sorte que, si le nom d’Hamilton n’y était prononcé une fois, on pourrait la croire écrite au lendemain de Ta critique de Kant. Cependant la métaphysique n’a pas cessé de se transformer depuis lors.

M. Mamiani se plaint à la fin de son dernier chapitre que les travaux des philosophes italiens ne soient pas assez étudiés en Europe ; nous avons fait notre possible pour rompre avec cette injuste coutume ; mais on peut supposer que les différents pays où la philosophie est cultivée prendraient un plus vif intérêt à leurs spéculations, si elles reflétaient plus exactement l’état général de la pensée européenne. Tout travail collectif veut des principes communs, or l’esprit qui règne dans l’œuvre que nous examinons est tout particulier à l’auteur et à son école. Dans sa tentative hautement avouée de créer une philosophie nationale, l’illustre comte n’a que trop bien réussi : et les présents prolégomènes ne peuvent que consolider les barrières dont l’ombre commence à l’offusquer enfin.

Cette analyse est assez développée pour que nos lecteurs apprécient ce qu’il y a de fondé dans cette remarque. Si le raisonnement de l’auteur est aussi lumineux, aussi irrésistible, aussi inébranlable, aussi inattaquable qu’il l’affirme souvent (chiaro, lampante, irrepugnabile,