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essence propre, nature et unité, et non un composé d’abstractions et d’inductions phénoménales, noumène, en un mot, » l’Être est réel et, comme l’a dit le moyen-âge, très-réel (realissimo). Le criticisme prétend que notre pensée obéit, dans ses conceptions transcendantes, à une nécessité purement subjective, sans pouvoir affirmer la réalité objective de ces conceptions. Mais si ce point de vue est admis, l’objectivité des concepts mathématiques eux-mêmes se trouve niée du même coup et on ne comprend plus comment ces combinaisons idéales correspondent si bien à la réalité. Que si on ajoute que le raisonnement ne porte que sur des rapports abstraits et est à jamais incapable de saisir des réalités extérieures, comment se fait-il que l’astronome soit conduit par ses raisonnements à découvrir des astres nouveaux ? De même donc que l’astronome est autorisé à passer par le raisonnement d’un fait réel observé à un autre fait non observé, mais tout aussi réel, ainsi le métaphysicien passe de plein droit du fait qu’il pense l’être à cet autre fait que l’être existe en dehors de lui. De plus, il n’y a pas d’idée sans objet ; une idée n’est qu’un symbole, soit ; mais un symbole qui ne correspond à rien, n’est qu’une énigme, un hiéroglyphe indéchiffrable. À plus forte raison l’idée de l’être absolu doit-elle avoir quelque part sa cause dans un objet correspondant ; car si l’on admet que l’être n’est que possible, encore faut-il que cette virtualité soit capable de passer par elle-même à l’acte total : dès lors une telle virtualité équivaut à l’efficience infinie. Mais l’acte infini est en dehors du temps comme de l’espace ; s’il ne devient pas, il est, et l’Être absolu réapparaît comme terme de son idée.

L’idée fondamentale de cette exposition est, en effet, celle qui fait déjà le fond de la métaphysique cartésienne : à savoir qu’ « en fait d’objets transcendants l’hypothèse et la réalité coïncident » et que penser l’absolu, c’est penser, c’est admettre la réalité de l’absolu. « Toute vérité nécessaire est une hypothèse ; et, par exemple, celle-ci : les rayons du cercle sont tous égaux. De quel cercle ? demandera-t-on. Du cercle hypothétique, répondrai-je, à savoir : du cercle antérieur à tous les cercles donnés, construits çà et là dans l’espace, de ce cercle unique qui est le même pour toutes les intelligences qui le pensent. Mais nous avons déjà vu que toute vérité rationnelle et non contingente est une simple détermination et spécification du principe d’identité et de contradiction. Ce principe est donc par cela même la première et souveraine hypothèse, c’est-à-dire ce qui de toute façon est antérieur, ce qu’il faut nécessairement supposer, ce qui est au fond de toute pensée spéculative comme substratum inévitable de cette pensée… Un tel substratum est l’actualité éternelle et immobile de l’être réel, saisi par nous dans une intuition immédiate, ou bien repensé et réfléchi dans une notion correspondante » (p. 66). Ce chapitre xii et le chapitre xiii (Description de notre intuition éternelle de l’être premier) sont le point culminant de toute l’exposition. Nous regrettons de ne pouvoir les analyser dans leur détail : qu’il nous suffise d’en avoir indiqué l’esprit. Celui qui clôt