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ANALYSES.p. regnaud. Linguistique indo-européenne.

force sociale. On a beau se dire que la société est dans le cas de légitime défense, la comparaison ne se soutient pas. Un homme attaque la nuit, à l’improviste, se défend comme il peut, et s’il tue l’agresseur, il n’a rien à se reprocher, encore que la mort d’un homme soit toujours chose grave. Mais s’il l’a mis hors d’état de nuire, il ne le tuera pas de sang-froid. Pareillement, si les assassins étaient exécutés flagrante delicto, le sentiment public y applaudirait, comme on voit d’ailleurs la foule vouloir lyncher aussitôt les coupables qu’elle surprend. Mais après les formalités judiciaires, la détention, les plaidoiries, les pourvois, etc., l’exécution semble un peu une sorte de lâcheté sociale commise sur un être sans défense, si méprisable qu’il soit. Selon M. Tarde, c’est surtout le spectacle qui répugne ; et en effet la guillotine a quelque chose de particulièrement repoussant. Mais ni la pendaison ni la fusillade ne sont des spectacles beaucoup moins odieux. Le dégoût que cause la peine de mort est surtout moral : il provient du contraste entre la toute-puissance sociale et la faiblesse du condamné, paralysé, ligotté, défaillant. Toute autre peine, pouvant amender le criminel, se moralise par là même. Celle-ci, en le supprimant, trahit sa nature purement utilitaire, et la conscience, peut-être par excès de délicatesse ou par sensiblerie, s’en offense. Et pourtant que sont une dizaine d’exécutions annuelles, au prix des centaines de mille vies humaines que coûte une guerre ! Mais ces morts sont volontaires, théoriquement au moins ; elles sont belles esthétiquement, et l’énorme masse des souffrances entrevues écrase notre sensibilité, qui se tait.

À peine avons-nous pu effleurer seulement quelques-unes des questions que soulève et traite le livre original et suggestif de M. Tarde. Nous sommes certains qu’il trouvera, à l’étranger comme en France, l’accueil qu’il mérite. Bien qu’il fasse partie d’une bibliothèque spéciale de « criminologie », tous ceux qui s’intéressent à l’histoire, à la psychologie, à la philosophie enfin le liront avec autant d’intérêt que de profit.

L. Lévy-Bruhl.

Paul Regnaud. Principes généraux de linguistique indo-européenne (Paris, Hachette, 1890, in-16, 113 p.).

Ce petit livre, publié à l’usage des candidats aux agrégations de philosophie et de grammaire, peut être considéré, l’auteur le dit lui-même (p. 5), comme le résumé des principes qu’il a exposés plus au long dans son ouvrage sur l’origine du langage[1], dont nous avons rendu compte dans la Revue de mai 1888. On y trouvera, rassemblées en 44 numéros, les propositions essentielles d’une théorie qui s’efforce de déterminer, à

  1. P. Regnaud, Origine et philosophie du langage. Paris, Fischbacher, 1888.