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On a reproché, non peut-être sans raison, à certains philosophes de perdre à décrire leur méthode un temps qui serait mieux employé à l’appliquer : si quelque esprit impatient était tenté de faire ce reproche à M. Fouillée, il serait facile de lui répondre que le programme tracé dans ce livre n’est pas un programme en l’air, le plan imaginaire d’un édifice qui ne sera jamais construit, qu’il est tout au contraire le projet et comme l’ébauche d’un monument en construction. Cependant, il faut bien l’avouer, nous qui ne connaissons pas encore cette œuvre future, nous ne pouvons porter sur le programme qu’on nous soumet un jugement définitif : car après tout, le seul moyen infaillible de prouver la valeur dune méthode c’est de la mettre en œuvre et d’en vérifier l’efficacité par le succès. Ne demandons pas à ce livre plus qu’il ne prétend nous donner : s’il démontre que la métaphysique n’est pas, quoi qu’en disent ses adversaires, enfermée dans une impasse, qu’une voie reste encore ouverte devant elle, et qu’au bout de cette voie, non encore explorée, se trouve peut-être la vérité si longtemps et si vainement cherchée ailleurs, accueillons joyeusement cette bonne nouvelle en attendant qu’elle soit confirmée par l’effet.

I. — Tout d’abord, quelle idée M. Fouillée nous donne-t-il de la métaphysique ? Je soupçonne fort ce mot, comme beaucoup d’autres en philosophie, de confondre dans son ambiguïté des conceptions très diverses. Selon le sens où on le prend, tout le monde, même Auguste Comte, même Kant, admettra sans difficulté que la métaphysique est nécessaire et légitime ; ou au contraire, nous verrons positivistes et criticistes contester à l’envi son utilité et son droit à l’existence. De quelque nom qu’on l’appelle, il est certain que l’esprit humain tend à une science ou, si l’on aime mieux, à une étude suprême qui est comme l’aboutissement nécessaire de toutes les autres, à une philosophie première ou dernière, à laquelle ressortissent les questions finales, celles qui concernent l’ensemble et le fond des choses. Appelons métaphysique cette philosophia prima ou ultima : il n’est pas de doctrine au monde qui puisse la supprimer. On peut dire d’elle ce qu’Aristote disait de la philosophie en général : s’il faut philosopher, il faut philosopher ; s’il ne faut pas philosopher, il faut philosopher (à savoir pour prouver qu’il ne faut pas philosopher) ; donc de toute façon, il faut philosopher. En effet, lorsque Kant, soumettant l’esprit humain à la critique, lui fait toucher les limites infranchissables où sa structure le force à se mouvoir, ne discute-t-il pas, ne résout-il pas à sa manière les problèmes ultimes, ceux auxquels toute science, toute pensée nous ramène, si nous la suivons assez loin ? partant, ne fait-il pas de la métaphysique ? De même, Auguste Comte est métaphysicien à son insu et contre son gré, lorsqu’il s’efforce de prouver que toute notre connaissance est relative, et qu’il assemble et échelonne dans une vaste synthèse les résultats les plus généraux des sciences. — Telle est donc la vertu de cette première définition : elle met tout le monde d’accord en donnant de la métaphysique une conception tellement vague, tellement indéterminée, que les sys-