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commencé pendant la veille, qu’on résout un problème dont on avait en vain cherché la solution, que des souvenirs disparus depuis longtemps reviennent à la mémoire avec une lucidité remarquable.

Le sommeil profond prend naissance quand il ne reste plus assez d’attention libre dans le domaine des idées et des sens pour que la pensée du sommeil puisse être rendue consciente après le réveil. Il est donc caractérisé par l’abolition du souvenir au réveil. Dans cet état, le sujet est isolé de tout ce qui l’entoure et n’est plus en relation par l’esprit et les sens qu’avec celui qui l’a endormi. Sur plus de 8000 sujets, M. Liébeault a rencontré deux sujets seulement qui restèrent toujours isolés de lui ; ils ne présentaient aucune catalepsie et dormaient comme du sommeil ordinaire. Il est regrettable que l’auteur, sur cette question si intéressante et si discutée du rapport, se soit borné à ce qu’il avait écrit autrefois et ne l’ait pas reprise avec les données nouvelles qu’il pouvait utiliser.

Dans le sommeil profond, quand aucune suggestion particulière n’est faite, il y a une sédation générale du système nerveux qui se traduit par le ralentissement ou la cessation du travail intellectuel, l’obtusion des sens, la résolution musculaire, en un mot par l’affaiblissement de la vie de relation et, de plus, par une diminution d’activité des fonctions de nutrition. Mais la suggestion peut tirer le dormeur de cette immobilité, de cette inertie physique et psychique et en faire un automate que l’on peut modifier et faire manœuvrer à son gré. Grâce à elle, on peut déplacer l’attention du dormeur et faire qu’elle aille s’exercer en masse n’importe sur quel sens ou sur quelle partie de l’économie qu’on lui désigne. On voit que M. Liébeault se rattache à la théorie déjà émise en 1860 par Durand de Gros, théorie qui a son point de départ dans la phrase connue de Cabanis : « La sensibilité se comporte à la manière d’un fluide dont la quantité totale est déterminée, et qui, toutes les fois qu’il se jette en plus grande abondance dans un de ses canaux, diminue proportionnellement dans les autres. »

L’auteur étudie successivement, dans une série de chapitres, les effets de la suggestion et de la concentration de l’attention sur les sensations, la mémoire, les fonctions intellectuelles, les fonctions végétatives, les émotions. La plupart des faits énoncés dans ces divers chapitres sont aujourd’hui connus et vulgarisés, mais ce qui est encore nouveau, ce sont les réflexions profondes de l’auteur à propos de ces faits et les conclusions qu’il en tire. Je recommanderai surtout le chapitre qui traite des effets de l’attention accumulée sur les fonctions des organes soumis à l’action du nerf grand sympathique. « Il y a en nous, dit l’auteur, pour les fonctions organiques, comme une autre conscience inférieure qui manœuvre à notre insu et à part de celle qui nous est connue. Le système nerveux ganglionnaire a ses racines dans le cerveau ; les fonctions intimes d’assimilation et de désassimilation sont l’effet de pensées permanentes puisées dans les sensations internes et élaborées dans le cerveau ; pensées dont nous n’avons pas la connais-