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viennent de tous côtés des médecins et des savants. J’ai là devant les yeux une liste de près de cent noms ; ce sont les visiteurs d’une année. L’Angleterre, l’Amérique, la Russie, la Suède, la Hollande, la Belgique, la Suisse ont fourni leur contingent ; quelques Allemands et quelques Italiens, fort peu de Français ; nul n’est prophète en son pays et jamais le proverbe n’a reçu une aussi juste application. C’est en France, à Paris, à Nancy même, que la résistance à ces idées est la plus marquée, résistance dont la capitulation n’est plus du reste qu’une affaire de temps. À l’étranger, par contre, nos idées dominent et se répandent tous les jours de plus en plus. Des cliniques pour le traitement des maladies par l’hypnotisme et la suggestion existent en Angleterre, en Suède, en Suisse, en Belgique, dans toutes les grandes villes de Hollande, et toutes s’inspirent des doctrines et des pratiques de l’école de Nancy. Ces idées seront adoptées avec enthousiasme quand elles nous reviendront avec l’estampille étrangère.

Mais M. Liébeault n’est pas seulement médecin ; c’est aussi, et c’est par là surtout qu’il intéresse les lecteurs de cette Revue, c’est aussi un psychologue ; psychologue très personnel, sentant fort peu l’école et se faisant volontiers à lui-même sa manière de dire et de penser sans s’inquiéter de l’usage et de la tradition. Il n’est même pas très tendre, il faut bien le dire, pour les philosophes et les métaphysiciens de profession et ne leur ménage pas les coups de boutoir.

La lecture de ce livre qui n’a rien perdu de sa valeur depuis 1866 est intéressante et suggestive. Il prête à la discussion, mais il éveille les idées. La pensée, hardie et profonde, ne se dégage pas toujours avec une netteté suffisante, ce qui est dû en partie à la terminologie et au style très personnels de l’auteur. Mais cette difficulté se surmonte aisément avec un peu d’attention.

Je résumerai rapidement, en employant autant que possible les expressions mêmes de l’auteur, les principaux chapitres du livre.

Après avoir défini, dans un chapitre préliminaire, ce qu’il entend par attention, impressions, perceptions, etc., M. Liébeault aborde l’étude de la production du sommeil ordinaire et du sommeil provoqué.

Le point essentiel de cette étude, c’est que le sommeil artificiel ne diffère pas du sommeil ordinaire ; dans les deux cas on retrouve, pour le sujet, les mêmes éléments psychiques : conviction que l’on peut dormir, consentement au sommeil, isolement des sens, concentration de l’attention sur un seul objet ou une seule idée. Il n’y a dans le sommeil provoqué qu’un élément en moins, le besoin de repos, et un élément en plus, l’injonction de dormir.

Le plus souvent, le besoin d’équilibrer les forces dissociées amène le consentement au sommeil ordinaire. Ce besoin est la cause déterminante de la pensée habituelle de dormir, comme celui de manger est la cause déterminante de la pensée de chercher à satisfaire sa faim. Mais ce besoin et le phénomène psychique de la formation du sommeil sont aussi distincts l’un de l’autre que le désir de prendre de la