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A. NAVILLE. — les sciences physiques

dans les mêmes circonstances, les mêmes atomes d’oxygène et de soufre que j’ai combinés aujourd’hui, j’obtiendrai le même composé. Il faut que j’y ajoute une seconde croyance, à savoir que le mouvement dans le temps n’altère pas la nature des atomes, de telle sorte qu’elle sera la même demain qu’aujourd’hui. Sans cette croyance, aucune conclusion du présent à l’avenir ou au passé ne serait permise, même relativement aux mêmes parcelles des mêmes matières. D’ailleurs, on le sait, l’induction ne se borne pas à de pareilles conclusions, et, si elle s’y bornait, son domaine serait singulièrement restreint. Ce qui la caractérise essentiellement, c’est qu’elle conclut de certaines parcelles de matière à d’autres parcelles censées de même nature, des phénomènes qui se sont accomplis dans une certaine masse d’un corps à ceux qui se produiront dans une autre masse du même corps ou d’autres corps. Ainsi le chimiste, qui a combiné une certaine quantité de soufre et d’oxygène qu’il manipulait dans son laboratoire, en tire des conclusions pour toute autre quantité de soufre et d’oxygène sur lesquelles n’ont jamais porté ses expériences ; le physicien, qui a étudié la réfraction lumineuse dans l’eau que contient son bocal, conclut de cette étude les lois de la réfraction dans toute autre masse d’eau. Si le chimiste ne croyait pas qu’il y a d’autres atomes de soufre et d’oxygène, si le physicien ne croyait pas qu’il peut y avoir de l’eau ailleurs que dans son bocal, ils n’entreprendraient pas des études qui seraient, dans ce cas, à peu près sans utilité.

Le principe logique d’identité nous assure que, si le même ensemble de causes se répète, il produira le même ensemble d’effets, mais une réflexion très simple nous convainc que la répétition de l’absolument même n’est pas possible. Entre deux phénomènes il y a toujours nécessairement quelque différence, ou de situation dans le temps ou de situation dans l’espace ou de substance. Le principe logique serait donc tout à fait stérile s’il n’était marié à la croyance qu’au sein des différences il peut y avoir des identités, parce qu’il y a des autres qui sont à certains égards des mêmes. Soumettons ce second principe à l’analyse, pour étudier une partie au moins de son contenu.

1o Pour induire il faut croire que les éléments matériels ne sont pas altérés par le cours du temps, en sorte que ce qui est vrai d’eux aujourd’hui le sera encore demain. Si la durée changeait la nature des parcelles de matière sur lesquelles j’expérimente, l’observation de leurs rapports actuels ne m’apprendrait rien au sujet de leurs rapports passés et futurs, la chimie ne pourrait formuler à leur sujet