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prises. Nous ne pouvons que la conjecturer d’après ses manifestations, c’est-à-dire d’après les actions et réactions qui se produisent quand les choses sont mises en présence ou en rapport les unes avec les autres. Une chose, c’est pour moi une inconnue, un , qui produit sur ce qui l’entoure certaines modifications et sur moi certaines impressions. Mon presse-papier, par exemple, c’est un qui produit dans les feuilles sur lesquelles je le place un certain affaissement et en moi certaines impressions de couleur, de pression, qui résiste dans une certaine étendue aux mouvements de ma main, exige de ma part certains efforts musculaires, etc. D’une manière générale une certaine chose est celle qui se manifeste d’une certaine manière, — ou, en d’autres termes, une certaine cause est celle qui produit un certain effet. Dès lors il y aurait contradiction à dire qu’une même cause peut produire des effets différents. Si elle produit un autre effet, elle n’est plus la même cause. Puisque A est ce qui produit B, ce qui produit C n’est pas A. Le premier principe de l’induction est donc un principe rationnel d’une certitude absolue. On ne pourrait le contester qu’en contestant le fondement même de toute pensée logique, le principe d’identité. Si cela n’apparaît pas à tous les esprits avec une évidence immédiate, c’est probablement à cause de l’ambiguïté du mot cause, qui est tantôt distingué des mots : condition, circonstance, et tantôt employé comme leur synonyme. En fait l’expérience ne nous met jamais en présence d’une cause et d’un effet isolés ; dans les phénomènes, qui sont toujours complexes, il y a constamment des causes combinées qui produisent des effets combinés. La vraie formule du principe de l’induction est donc : un même ensemble de causes produit nécessairement un même ensemble d’effets. Cette formule plurielle prête moins à l’équivoque que la formule singulière, on voit mieux que l’identité de la cause comprend celles des conditions et des circonstances ; et dès lors la certitude rationnelle apparaît clairement. Aucune discussion ne serait possible, me semble-t-il, avec qui n’admettrait pas la vérité de ce principe.

Malheureusement ce premier principe, seul, est infécond ; M. Lachelier l’a montré péremptoirement. Nous savons de certitude logique que, si le même ensemble de causes se reproduit, il en résultera le même ensemble d’effets ; mais la reproduction du même ensemble de causes paraît impossible. Comment pourrait-il n’y avoir aucune différence ? La différence de situation dans le temps, tout au moins, n’est-elle pas inévitable ? Et, du moment que la situation dans le temps est autre, peut-on dire encore que l’ensemble des causes est le même ? Pris à la rigueur, le premier principe de l’induction ne me permet pas même d’affirmer qu’en combinant demain,