Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
revue philosophique

il a aussi nécessairement quatre mains. On conçoit qu’il est beaucoup plus difficile d’obtenir de pareils théorèmes que de simples définitions empiriques, mais on voit en même temps combien, lorsqu’on pourra les avoir, ils seront plus instructifs.

Si l’on étudie les formules qui sont données dans la science comme des énoncés de lois, on reconnaîtra que le caractère hypothétique fait défaut à plusieurs d’entre elles ; mais, en y regardant de près, on n’aura pas de peine à discerner qu’elles impliquent des affirmations conditionnelles, et que ces affirmations sont la seule partie certaine de leur contenu. La formule newtonienne de la gravitation universelle peut elle-même nous servir d’exemple. Les corps, dit Newton, s’attirent en raison directe de leurs masses et en raison inverse du carré de leurs distances. Voilà une énonciation qui, en apparence, est tout à fait catégorique. On y affirme, sans condition, l’existence dans les corps d’une force, d’une tendance à laquelle on donne le nom d’attraction. Mais nous savons ce que Newton lui-même en pensait ; il ne croyait pas à l’attraction et s’est servi de ce terme comme d’une expression commode, sans la prendre au sens rigoureux. Les choses, a-t-il écrit, se passent comme si les corps s’attiraient. L’idée d’attraction, qui a eu la bizarre destinée d’être introduite dans la pensée scientifique par un homme qui la croyait fausse, est une hypothèse ontologique, soutenable et contestable, au sujet de la nature intime des corps. Elle explique peut-être la relation effective entre les corps, mais elle n’est pas l’idée de cette relation elle-même qui seule tombe directement sous les prises de la science physique. Or, quelle est cette relation ? Est-elle que tous les corps, en toute circonstance, inconditionnellement, se meuvent, vont les uns vers les autres ? Nullement. Les corps, très souvent, ne vont pas les uns vers les autres ; la lune ne tombe pas plus sur la terre que la terre ne tombe sur le soleil. Le rapprochement des corps est soumis à une condition, et cette condition c’est que des influences contrariantes ne les maintiennent pas à l’écart les uns des autres. Ici comme ailleurs, on le voit, la nécessité est seulement hypothétique ; le mouvement de gravitation, qui est le second terme du rapport, ne se produit que si le premier terme, c’est-à-dire un ensemble déterminé de circonstances, est donné. Ce premier terme n’est pas énoncé d’une manière satisfaisante par Newton. En disant : les corps, il a dit trop, du moins s’il faut admettre l’existence de l’éther, c’est-à-dire d’un corps dénué de poids. L’éther ne gravite pas, nous dit-on, et cependant il est un corps. Le théorème, pour être achevé, devrait énoncer le caractère autre avec lequel est lié celui de gravitation. Ce caractère autre paraît être la masse, en sorte que la loi