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serait en général possible ; car nous avons tous vu plus d’hommes vivants que d’hommes et même d’animaux morts. Mais il nous arrivera cependant de dire aussi et de penser : « La mort frappe impitoyablement les hommes ». Dans ce cas, c’est que nous avons récemment ou très souvent songé à la mort ou peut-être vu dans la journée un homme mort, ou c’est enfin que l’idée de mort éveille en nous des tendances particulièrement énergiques, comme l’instinct de la peur.

En ce qui concerne l’association des images, la nature, l’intensité des images, la répétition, le temps écoulé sont encore autant de conditions qui influent sur le développement de cette association. Plus les images sont semblables, plus rapidement et fortement elles s’associent. Si elles sont trop semblables, elles arrivent même à se confondre tellement que la conscience ne peut plus du tout ou ne peut plus que difficilement les distinguer les unes des autres. Alors la question de certitude ne se pose plus. Ainsi personne ne se demande, en s’éveillant le matin, s’il se reconnaît, ni même s’il se connaît.

À la rigueur on pourrait considérer le plaisir et la douleur, c’est-à-dire l’affectivité, d’une part, et, d’autre part, l’attention ou l’aperception comme des propriétés élémentaires de toute image ou idée. Le mieux cependant est de dire que la certitude s’accompagne ou encore est toujours immédiatement suivie de plaisir ou de douleur ; et, d’autre part, les images qui y interviennent sont, comme toutes images en général, en corrélation étroite avec des phénomènes musculaires déterminés qui constituent l’attention proprement dite, laquelle n’est d’ailleurs rien de spécifique.

Nous avons insisté sur ce point que la répétition crée en nous des tendances mentales qui elles-mêmes fournissent autant de bases d’aperception. Comme, selon les époques, les pays, etc., les idées répétées varient, il s’en suit que l’esprit humain et par conséquent la certitude et la vérité, si faiblement que ce soit, varient. Les vérités permanentes correspondent aux tendances mentales permanentes et aux réalités permanentes : c’est ainsi qu’il sera toujours vrai sans doute qu’un monde extérieur étendu existe. Mais il ne l’est plus pour tous que l’Olympe ait existé, que Napoléon Ier existe.

Actuellement dominent ce qu’on appelle les vérités scientifiques, c’est-à-dire qu’un ensemble de tendances mentales particulières l’emportent sur les autres dans les cerveaux des Européens actuels. Ces vérités n’ont cependant en elles-mêmes rien qui les distingue essentiellement des autres. Elles se forment, comme toutes vérités, par l’observation, le raisonnement, sous l’influence du témoignage,