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B. BOURDON. — la certitude

l’influence de l’autorité. Si nous omettons ces cas anormaux, nous restons en présence d’une certitude vulgaire, organisée, savoir que la couleur, le nombre, etc., existent en dehors de nous, laquelle ne peut disparaître qu’avec l’homme lui-même.

Enfin une discussion qui se prolonge aujourd’hui encore est celle qui porte sur la question de l’existence de vérités formelles, de sciences formelles. Ainsi la géométrie, affirment les uns, est une science créée entièrement par l’esprit. Cependant il n’est pas douteux que la géométrie des livres ressemble extraordinairement à celle de la nature, et qu’on peut vérifier expérimentalement, avec toute l’exactitude désirable, sur un triangle bien tracé, les propriétés des triangles découvertes par le raisonnement. Dès lors, en vertu du principe qu’il ne faut pas multiplier sans nécessité les hypothèses, pourquoi supposer qu’il existe deux géométries ? D’autre part, les livres de géométrie ont des figures empiriquement tracées et jamais il n’a été répondu de manière satisfaisante à l’argument que tirent de ce fait ceux qui croient que la géométrie est une science physique. Enfin si la géométrie considère des points sans étendue, la physique, qui n’est pas ordinairement mise au rang des sciences formelles, n’étudie-t-elle pas dans les objets les propriétés physiques en faisant abstraction des propriétés chimiques, mécaniques, etc., et même telle propriété physique comme la pesanteur, en faisant abstraction des autres, chaleur, lumière, etc. ?

La distinction entre le formel et le réel est donc simplement relative, non essentielle. Et nous sommes du reste parfaitement en mesure d’expliquer cette différence. Si, par exemple, nous prenons le cas de la géométrie, nous comprendrons qu’il soit aisé de raisonner sur cette science avec certitude, car les images sur lesquelles on raisonne ont une vivacité extrême. Qu’on demande au plus ignorant de tracer immédiatement un triangle, et il en tracera un très passable. Je sais en outre très bien comment on construit un polygone et si l’on me demandait d’en tracer de mémoire un de 1000 côtés, je ne me tromperais pas d’un seul côté. Du reste, malgré cette vivacité qu’ont les images géométriques internes, tous les géomètres recourent en outre à des perceptions, puisqu’ils tracent dans leurs livres, sur leurs cahiers, des figures. Ce fait s’explique d’ailleurs par ce que nous avons montré, savoir que, sauf de rares exceptions, l’image interne, si vive qu’elle soit, ne peut atteindre à la vivacité de la perception[1].

  1. Quoique ce ne soit pas ici le lieu de discuter longuement sur la nature des vérités arithmétiques et géométriques, nous ne pouvons nous empêcher de dire quelques mots de la théorie très élaborée qu’un des plus éminents parmi les