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c’est là une addition à nos connaissances antérieures ; il ne s’en suit nullement que le mot objectif doive être désormais considéré comme synonyme de subjectif. Avant la découverte qui a été faite, les objets étaient fonction de nos sens et de notre esprit tout comme aujourd’hui. Il y a donc, dans cette théorie de la subjectivité de certains phénomènes, de tous selon quelques philosophes, la même illusion qu’il y aurait à prétendre que l’eau n’est plus de l’eau depuis qu’on a découvert qu’elle est composée d’oxygène et d’hydrogène. Tout ce qui résulte des théories de Berkeley, Kant, des analyses expérimentales entreprises par Helmholtz, Wundt et autres, c’est que la différence entre l’objet et le sujet n’est pas tout à fait aussi grande qu’on l’avait cru pendant longtemps. Les théories subjectivistes sont en somme absolument à mettre en parallèle avec les théories matérialistes, lesquelles n’ont fait que tomber dans l’exagération contraire et beaucoup plus naturelle de tout ramener à l’objet, même le sujet, sous prétexte que dans la sensation, par exemple, il est visible que le sujet reçoit l’impression de l’objet. Les idéalistes sont donc mal venus à tourner en ridicule les matérialistes. Les uns et les autres sont en réalité victimes de la même illusion, avec cette différence cependant, tout en faveur des matérialistes, que le matérialisme est une hypothèse qui se présente assez naturellement à l’esprit, tandis que l’idéalisme est une théorie subtile, et qui choque absolument le sens commun.

Il serait un peu inexact de prétendre, comme on l’a fait parfois, que la science a pour but de découvrir le pur objectif en le débarrassant des éléments subjectifs que la connaissance vulgaire y a mêlés ; car la science, en partie au moins et si on la compare à la réalité, est visiblement composée d’éléments subjectifs. Quand elle pose une hypothèse, quand à cette dernière elle en substitue une autre, quand elle érige celle-ci en loi, elle fait, chaque fois, œuvre subjective. Le jour où un savant perdrait complètement conscience de l’activité interne qu’il déploie dans l’établissement de la science, il n’y aurait plus pour lui, dans ce qu’il ferait, à proprement parler science.

D’autre part, là où manque entièrement chez tous, en présence d’un phénomène, la conscience d’une activité subjective, la science s’évertuera en vain à vouloir faire passer ce phénomène pour subjectif. Ainsi jamais la science n’arrivera à faire passer la couleur, le nombre, etc., pour des phénomènes exclusivement subjectifs. Si par hasard la croyance à la subjectivité de la couleur, du nombre, etc., prend un peu racine chez quelques-uns, c’est avant tout et abstraction faite du premier qui a édifié la théorie, parce qu’ils subissent