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B. BOURDON. — la certitude

vive à l’image complexe constituée par notre personne et considérée soit comme accident, soit comme substance, selon qu’on parle de la vérité connue par la personne ou de la personne qui connaît la vérité. Qu’il y ait de telles vérités, c’est ce qui n’est pas douteux. Ainsi je me sens triste, je suis sûr de ma tristesse autant que je le serais de voir l’encrier dans lequel je puise de l’encre. Par vérité objective, au contraire, on entendra l’association forte d’une image vive à l’image complexe soit du monde en général, soit de tel objet particulier de ce monde, pris également, selon les cas, comme substances ou comme accidents. Pour écarter tout de suite une question qui, espérons-le pour l’honneur de la philosophie, cessera un jour de se poser, nous rappellerons que, dans toute certitude, il y a un élément considéré comme donné, dont l’existence ne se discute pas ; par conséquent la question de la réalité ou de la non-réalité objective du monde, plus encore celle de la réalité objective de l’espace, sont de simples jeux de mots qui n’ont guère de sens, quoique, il faut bien le reconnaître, beaucoup de philosophes se les soient posées consciencieusement. En effet, l’association chez tous les hommes est immensément plus forte et le sera toujours entre l’idée du monde et celle de l’espace pris comme substance ou comme accident, par exemple, qu’entre l’idée du monde et celle de leurs propres personnes prises comme substances ou comme accidents.

Cette remarque faite une fois pour toutes, faut-il concéder maintenant que, bien que le monde ait autant de réalité objective qu’on en peut raisonnablement souhaiter, entre les domaines respectifs de l’objet et du sujet, il existe cependant une zone mal délimitée dont on ne puisse dire au juste, à moins d’analyses approfondies, auquel des deux elle appartient ou, plus encore, faut-il admettre, comme le veulent beaucoup de savants, qu’il existe une foule de phénomènes que le vulgaire a l’habitude de considérer comme objectifs et qui, au fond, sont subjectifs ? Est-il vrai, par exemple, que la couleur, la chaleur, considérées par tout le monde comme des propriétés des objets, ne soient en réalité que des propriétés ou des créations du sujet ?

Eh bien, on peut répondre sans crainte que la couleur et la chaleur sont des phénomènes objectifs, que le nombre lui-même est à la fois objectif et subjectif puisqu’on peut compter des objets et ses idées. Il faut le reconnaître, ces théories sur la subjectivité de la couleur, de la chaleur, etc., sont comparables à celles des philosophes qui nient la réalité du monde extérieur ; elles ont fourni d’ailleurs à ces dernières des arguments. En réalité ce qu’on a découvert c’est que tout objet est fonction de nos sens et de notre esprit ; mais