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REVUE PHILOSOPHIQUE

nos vérités ne sont plus quantitativement les mêmes tout à fait que celles des Grecs, de même que celles des Grecs n’étaient déjà plus tout à fait les mêmes que celles des Indo-Européens primitifs. Les lois de la pensée humaine changent-elles donc ou ne changent-elles pas ? Peut-être les lois les plus élémentaires n’ont-elles pas changé depuis longtemps ; ainsi il n’est pas téméraire de prétendre, quoique on puisse aussi soutenir et qu’on ait soutenu le contraire, que les Grecs voyaient absolument les mêmes couleurs que nous et avaient absolument la même finesse moyenne de discrimination visuelle. Mais nous croyons plus à la loi de causalité certainement que n’y croyaient les populations du moyen âge et il viendra peut-être un jour où le vulgaire y croira comme y croient dès maintenant la plupart des savants. Il y a actuellement prédominance manifeste dans l’esprit des Européens des notions scientifiques au détriment des intuitions littéraires, religieuses, etc. Bref, la pensée prédominante de l’Européen actuel et notamment de l’Allemand, de l’Anglais, du Français est une pensée scientifique, logique, et c’est pourquoi la loi de l’accord de la pensée avec elle-même, qui précédemment a pu être, dans certains cas, celle de l’accord des croyances nouvelles avec des convictions religieuses préexistantes, tend à devenir, dans les mêmes cas, celle de l’accord des croyances nouvelles avec les croyances scientifiques qui ont remplacé les croyances religieuses. Et il nous faut nous garder, crainte de surprise et d’intolérance, de croire que nous soyons arrivés au point de vue absolu. La science n’est pas l’absolu, pas plus que l’art ni la religion ne le sont. La certitude est plus générale que la science ; celle-ci n’est qu’un simple cas de la première. Et nous devons considérer le triomphe de plus en plus accentué de la science simplement comme l’indice d’un développement mental particulier, développement moins différent de ceux qui l’ont précédé qu’on ne le croit au premier abord, et qui a ses bons et ses mauvais côtés, comme un développement considérable de l’art ou de la religion a les siens.

VI

D’autres questions intéressantes, se rattachant à la question générale de la certitude, mériteraient un examen approfondi. Telles sont, par exemple, celle de la vérité subjective et de la vérité objective, de la vérité matérielle et de la vérité formelle. Nous allons brièvement consacrer quelques mots à l’une et à l’autre.

Par vérité subjective on doit entendre, si nous nous servons de l’analyse faite précédemment, toute association forte d’une image