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cette doctrine met en évidence la réalité distincte de l’esprit et fait que la thèse de M. Gautier sort victorieuse de la discussion.

La science établit donc la diversité essentielle des phénomènes physiologiques et des phénomènes psychiques. « On le comprendra toujours plus clairement à mesure que la physiologie du cerveau progressera. Le monisme anthropologique ne peut subsister que dans le demi-jour. Quand les physiologistes auront réussi à exprimer en formules mécaniques précises les mouvements des cellules cérébrales qui se produisent parallèlement aux faits conscients, personne ne pourra plus soutenir que ces faits conscients soient la même chose que ces mouvements[1]. »

Mais si la science établit la diversité des deux classes de faits que l’homme présente à l’observation, elle établit d’autre part leur union intime et permanente.

L’action du corps sur l’esprit est si manifeste qu’elle n’a jamais été totalement méconnue. On a toujours su que les narcotiques engourdissent les facultés, que l’alcool les surexcite et en trouble l’exercice. L’opium endort, l’excès du vin enivre. Il n’est aucune des fonctions de l’organisme qui n’agisse sur les phénomènes psychiques. La digestion bonne ou mauvaise produit un état agréable ou pénible ; une altération des fonctions de la circulation produit le délire de la fièvre ; la nature de l’air que l’on respire modifie les dispositions de l’esprit. Ce sont là des faits d’observation ordinaire et commune. Les hommes ont toujours su par une expérience immédiate que la tête est l’organe de la pensée. Descartes paraît avoir oublié que l’étude prolongée fatigue le cerveau lorsqu’il a écrit qu’il se savait une chose qui pense, sans savoir s’il avait un corps. Qu’est-ce que la science ajoute à ces données de sens commun ? Elle établit d’abord que l’action de l’organisme sur les états psychiques n’est pas accidentelle, comme on le pense lorsqu’on parle de phénomènes de l’esprit dans lesquels le corps n’entrerait pour rien et, par exemple, de maladies purement et uniquement mentales. Le corps et l’esprit sont distincts, mais ne sont jamais séparés ; leur union permanente est aussi bien établie que leur distinction.

La science, la science contemporaine surtout, s’efforce de découvrir la localisation cérébrale des conditions organiques des états intellectuels et moraux. L’étude des cas pathologiques semble destinée à fournir des lumières à ce sujet, lumières qui, dans l’état présent des recherches, sont encore bien incomplètes et vacillantes.

  1. Adrien Naville, dans la Revue scientifique du 5 mars 1887, p. 316.