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ern. naville. — science et matérialisme

ment au point de vue de l’intelligibilité la transformation des forces physiques les unes dans les autres et la transformation des phénomènes physiques en phénomènes psychiques. M. Liard a fait à ce propos une remarque fort importante. « Il est faux de dire que du mouvement devient de la chaleur, et de la chaleur du mouvement. Pour parler en toute rigueur, il faudrait dire que du mouvement de translation devient du mouvement vibratoire et que du mouvement vibratoire devient du mouvement de translation ; la théorie de l’unité des forces physiques implique qu’ils sont tous les répétitions infiniment variées d’un phénomène unique[1]. » Le phénomène unique du mouvement demeure sous toutes ses transformations ; et parler de la transformation du mouvement en sentiments et en pensées, c’est prononcer des paroles qui n’ont aucune signification pour un esprit attentif.

Les phénomènes physiologiques et les phénomènes psychiques diffèrent donc absolument par la diversité essentielle du mode de leur connaissance. Mais s’agit-il peut-être d’un double regard dirigé sur un même objet ? Peut-on conclure légitimement d’une différence subjective dans le mode de connaissance à une différence objective ? Peut-on fournir, pour justifier l’affirmation de la distinction essentielle du corps et de l’esprit, un argument autre que celui tiré du procédé de la perception ? Oui. Si l’on admet les théories de la physique moderne, on peut formuler un argument dont la valeur est proportionnelle à celle de ces théories.

L’hypothèse de la conservation de l’énergie, qui remonte à une pensée de Descartes rectifiée et complétée par ses successeurs, est devenue l’une des bases essentielles de la science contemporaine. Dans la transformation du mouvement, l’énergie, c’est-à-dire la force actualisée ou virtuelle, demeure en quantité constante : telle est la thèse. Il en résulte que ce qu’un organisme produit ou est capable de produire est égal à ce qu’il reçoit. Les mouvements de la plante, de l’animal, de l’homme, représentent une quantité de force qui provient de leur nourriture, en donnant à ce terme une signification large comprenant faction de la chaleur et de la lumière avec celle des aliments. Il doit donc y avoir équivalence entre la quantité d’énergie reçue et la quantité d’énergie dépensée. Or les phénomènes psychiques n’ont pas d’équivalent mécanique. Ils diffèrent donc en eux-mêmes, et indépendamment du mode de leur connaissance, des phénomènes physiologiques. C’est ainsi que la doctrine de la conservation de l’énergie doit conduire ceux qui l’admettent à

  1. La Science positive et la Métaphysique, Paris, 1879, p. 364.