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l’esprit humain à une tendance qui, chaque jour, grâce aux nouvelles lois découvertes, va se fortifiant et qui, dès maintenant, a, chez beaucoup de savants, acquis une telle énergie qu’ils ne se posent même plus la question du caractère anormal d’aucun phénomène et le considèrent tout de suite, quel qu’il soit, comme susceptible d’explication. Chez les hommes du peuple, chez les artistes, bref chez tous ceux qui ne sont pas, comme les physiciens et chimistes, par exemple, en contact fréquent avec des lois faciles à constater, le principe de l’indéterminisme ou de l’irrégularité dans l’apparition des phénomènes rencontre au contraire assez facilement créance.

Un cas extrême de l’accord de la pensée avec elle-même et que l’on a donné souvent comme un des principes premiers de la raison, c’est l’axiome de l’identité. On dit qu’il est certain absolument que A = A. Le malheur est que, dans la plupart des cas, il n’est il n’est pas vrai que deux phénomènes qui pour d’autres ou dans d’autres conditions paraîtraient identiques soient pour nous sûrement identiques. Il faut, pour qu’il y ait identité perçue ou conçue, que des conditions se trouvent réalisées qui le plus souvent ne le sont pas. Il faut, par exemple, que le premier A, dans l’identité A = A, ne soit ni dans le temps ni dans l’espace trop éloigné du second. S’ils sont trop éloignés, d’abord le plus souvent nous ne songerons pas à les comparer ; si cependant nous les comparons, aucune certitude complète le plus souvent ne naîtra en nous. Qui de nous ayant à Marseille regardé même attentivement la lettre A, écouté avec soin un son déterminé et revoyant à Paris une lettre A supposée absolument semblable, y entendant un son supposé absolument semblable, oserait affirmer

    exemple, le jour suit invariablement la nuit, sans que pourtant l’un soit la cause de l’autre. Mais, comme le remarque Wundt dans sa Logique, si le jour suit la nuit, la nuit suit aussi le jour. Ajoutons qu’il n’est pas vrai que le jour, c’est-à-dire la visibilité des objets, suive invariablement la nuit. Il suit le jour lui-même comme la nuit suit pendant plusieurs heures à notre latitude la nuit. La nuit plus ou moins complète suit enfin l’interposition devant le soleil non seulement de la terre, mais de la lune, de nuages épais, d’écrans artificiels. Remarques analogues concernant la production du jour. La définition que nous avons donnée du principe de causalité est plus générale que celle de Mill, en ce sens qu’elle ne précise pas s’il s’agit d’un rapport d’antécédent à conséquent ou de conséquent à antécédent. En langage vulgaire, nous décomposerions notre formule ainsi : Les mêmes effets ont toujours les mêmes causes et les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. C’est ainsi qu’un moulin marchera toujours sous l’influence de la même cause, qui sera l’action mécanique soit du vent, soit, de l’eau, etc. Le vulgaire qui confond en un bloc qu’il appelle eau, vent, etc., les propriétés mécaniques, physiques, chimiques de l’eau, du vent, etc., n’admettrait pas, en conséquence de cette confusion, que les mêmes effets soient toujours produits par les mêmes causes. Mais il suffit d’un peu de réflexion pour voir que les propriétés chimiques, par exemple, de l’eau, du vent, etc., n’ont rien à faire avec la marche du moulin.