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prime ce dont nous avons, semble-t-il au moins, la conscience la plus claire et ce à quoi, dans tous les cas, nous tenons le plus, la personnalité. Il fallait donc conserver l’idée fondamentale de Schopenhauer, celle de la primauté de la volonté, mais en la modifiant pour la mettre d’accord avec l’expérience et avec les exigences de la morale, et en l’appuyant d’autre part sur une argumentation sérieuse. C’est cette tâche que M. Wundt s’est imposée, et c’est elle qui l’a conduit aune hypothèse qui réconcilie la philosophie de la volonté avec la monadologie de Leibniz. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que la métaphysique française est toute disposée à s’engager dans la même voie. M. Evellin, dans des articles récents, a commencé l’exposition d’un système dans lequel l’être est multiple et a pour essence la force, c’est-à-dire la volonté ; système pour lequel son auteur propose le nom de Polydynamisme[1]. La conception que M. Evellin se fait du réel nous paraît se rapprocher beaucoup de celle de M. Wundt. Une comparaison entre ses idées et celles de M. Wundt présenterait certainement le plus grand intérêt.

Toute philosophie qui cherche dans le psychique, et en particulier dans l’activité psychique, l’essence de l’être, subordonne nécessairement le mécanisme de la nature à la causalité mentale. De là à renoncer à l’absolue nécessité de la causalité physique, il n’y a qu’un pas. Sur ce point encore les lecteurs de la Revue trouveront des rapprochements à faire entre le système de M. Wundt et certaines doctrines récemment soutenues en France. M. Wundt ne considère plus le mécanisme physique, à la manière de Leibniz et de Kant, comme l’expression d’une nécessité à priori de la pensée, mais comme une simple hypothèse destinée à ramener à une explication aussi satisfaisante que possible les phénomènes de la nature. M. Wundt ne conteste pas la valeur de l’hypothèse, il respecte en particulier le principe de la conservation de la force ; mais il croit que, le mécanisme, étant l’aspect extérieur de l’activité spontanée de l’âme, doit avoir tous les caractères de cette activité spontanée. Or le caractère essentiel de la volonté, c’est, nous l’avons vu, l’énergie toujours croissante, la tendance vers une perfection toujours plus grande, en un mot c’est le progrès. Le mécanisme se pliera donc à cette loi de progrès, et donnera naissance à des formes toujours plus parfaites. Peut-être la conciliation du mécanisme avec la loi du progrès est-elle possible, comme le pensait Leibniz ; mais dans le cas contraire c’est le mécanisme qu’il faudrait abandonner, car le mécanisme est une simple hypothèse, et il ne serait pas d’une

  1. Revue philosophique, article de juillet 1880.