Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
582
revue philosophique

bien se figurer la matière en quantité finie et renfermée dans une partie de cet espace infini. Si l’étendue abstraite et vide ne peut avoir de bornes, pourquoi l’étendue remplie et concrète n’en aurait-elle pas ? De même il n’est pas absurde de concevoir un commencement et une fin de la succession des phénomènes matériels, bien que le temps abstrait soit nécessairement illimité dans le passé aussi bien que dans l’avenir.

La raison doit donc essayer de former sur l’origine et la fin des séries causales, sur les derniers éléments de la matière et sur ses limites dans l’espace des hypothèses qui permettent de ramener l’expérience physique à un système total et clos. Ainsi l’hypothèse d’une matière homogène, composée d’un nombre infini d’atomes simples, tous semblables par la qualité, fournit à la raison un excellent moyen de ramener à l’unité d’explication les changements matériels. D’un autre côté, nous avons vu que ni le principe de contradiction ni le principe de raison ne s’opposent absolument à ce que le monde des corps soit limité dans l’espace. On pourra de même faire sur l’origine et la fin des séries causales des hypothèses qui permettent à l’esprit de limiter l’univers dans le passé et dans l’avenir. Ainsi il n’est pas impossible de concevoir, avant la formation des systèmes stellaires et planétaires, un état d’équilibre des atomes matériels, analogue à celui que Kant et Laplace imaginaient dans notre nébuleuse avant le début de la formation du système solaire. Cet état d’équilibre parfait pourrait être également considéré comme le terme de l’évolution du monde. Ces hypothèses ou d’autres semblables satisfont la pensée en ce sens qu’elles lui permettent de se reposer pour ainsi dire dans l’idée d’un système limité et total, embrassant le monde entier de l’expérience. Seulement, bien que ce système total existe certainement en réalité, la pensée ne peut jamais être absolument certaine que l’idée qu’elle s’en fait soit adéquate et définitive. Il peut toujours arriver un moment où elle se verra forcée de faire rentrer l’unité à laquelle elle était arrêtée dans une unité plus étendue. Ainsi la conception d’un système solaire unique, en admettant qu’elle ait pu satisfaire pendant un temps l’esprit, a dû être dépassée, et l’unité du système solaire a dû être englobée dans une unité plus vaste. En effet, pour comprendre l’origine de notre nébuleuse, il a paru nécessaire de supposer la destruction de systèmes solaires antérieurs ; il faut prévoir aussi l’anéantissement de notre système actuel, et la formation à ses dépens d’autres nébuleuses qui deviendront de nouveaux systèmes solaires. Ce n’est pas tout : notre soleil n’est pas mécaniquement isolé dans le monde, il subit l’action d’autres soleils sur lesquels il réagit, il est attiré et attire ;