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valeur esthétique aux tracés qui servent de base à ces dessins ; en réalité on les a imaginés après coup, après que le croquis eut traduit l’impression, et cela dans un double but : on voulait faciliter la reproduction du mouvement au praticien chargé de transformer l’esquisse en statue ; on voulait donner beaucoup de tenue aux personnages. Ces méthodes sont très recommandables, lorsqu’il s’agit de représenter des personnages vêtus de costumes épais, sur des façades monumentales : on ne saurait trop, dans ce cas, exagérer l’importance du canevas primitif.

Une fois l’œuvre achevée, le canevas linéaire devient impossible à retrouver ; le spectateur ne le connaît point et ne saurait le prendre pour base de son jugement. Mais la musique n’a-t-elle pas aussi pour base quelque chose d’insaisissable, les rapports des nombres de vibrations ? Nous avons vu, plus haut, que les théories modernes sur l’harmonie ont pour objet de découvrir ailleurs le principe de la musique : on y montre que les accords sont fondés sur quelque chose de perceptible à notre conscience et non sur des nombres mystérieux, qu’a pu découvrir seulement le physicien.

Toutes ces difficultés ont pour origine les idées spiritualistes, que nous rencontrons toujours comme un obstacle dans toutes nos recherches. L’observateur n’est pas beaucoup gêné par les scolastiques : ceux-ci ne séparent point l’âme du corps ; ils les unissent d’une manière substantielle ; et les thomistes, tout au moins, placent le principe d’individuation dans la matière. On peut donc s’entendre avec ces philosophes ; il est impossible de le faire avec les spiritualistes, qui s’élèvent pourtant, avec orgueil[1], contre toute idée nouvelle.

L’école cartésienne et celles qui en dérivent sont obligées de faire appel à l’intervention de Dieu à tout instant ; notre vie est un miracle perpétuel[2]. Les choses qui entrent dans notre conscience ne sont qu’une très faible partie de notre activité et ne sont probablement pas les plus admirables. Il est donc tout naturel que nous puissions appuyer les jugements, que nous exprimons dans les arts, sur des raisonnements subtils, qui échappent complètement à notre faible discernement.

Puisqu’il s’agit de miracles, on serait bien bon de s’arrêter en

  1. Jamais les docteurs du moyen âge n’ont été d’une intolérance pareille à l’école spiritualiste contemporaine.
  2. Descartes engage, d’ailleurs, la Princesse palatine à ne pas trop s’arrêter aux principes métaphysiques : « Il serait très nuisible d’occuper souvent son entendement à les méditer. » Nous pensons que c’est Descartes qui a imaginé la géométrie inconsciente.