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REVUE PHILOSOPHIQUE

V

La théorie de la certitude a été exposée, dans les pages qui précèdent, d’une manière générale. Nous voudrions maintenant examiner rapidement un certain nombre de questions spéciales qui se rattachent à la question générale et présentent des difficultés plus ou moins considérables.

D’abord nous pouvons juger, d’après ce qui précède, la question du critérium de la vérité. Ce que les uns, par exemple, ont appelé l’évidence, c’est, s’il s’agit de l’évidence sensible, simplement l’intensité de l’image et notamment, d’où la métaphore qu’indique le mot évidence, de l’image visuelle. Quant à la question de l’évidence rationnelle, nous y reviendrons tout à l’heure.

Le critérium du témoignage universel repose essentiellement sur le phénomène de l’augmentation de l’intensité des images et de la force des associations par la répétition. Entendre dire à 100 personnes la même chose, c’est avoir soi-même 100 fois la même idée devant l’esprit, d’où il résulte finalement que ces 100 idées, par les actions et réactions qu’elles ont exercées les unes sur les autres, ont chacune acquis une vivacité et une cohésion très grandes. Si 1000 personnes vous répètent toujours cette idée, la cohésion et la vivacité en question continuent de croître et il en résulte peu à peu une croyance qui, pratiquement, peut équivaloir à la certitude la mieux scientifiquement établie. Cette influence exercée sur chacun de nous par le témoignage de ceux qui nous entourent sera toujours considérable et nul ne peut s’y soustraire. Elle implique l’existence d’une société et par conséquent subit les conditions que la société elle-même subit : plus le pays a de cohésion géographique, linguistique, morale, politique, administrative, plus la société entre ceux qui l’habitent est elle-même étroite et plus le témoignage, dans cette société, comme la mode, a d’empire. Le côté faible du témoignage universel, c’est qu’il ne produit en chacun de nous, abstraction faite, par exemple, de la parole entendue, que des états représentatifs, et par conséquent n’est qu’un moyen indirect de vérité, un moyen de renforcement, non d’acquisition des idées ; et, d’autre part, jamais, dans les conditions normales, 100 témoignages ne produiront dans notre esprit une certitude équivalente à celle qu’y pourraient produire 100 perceptions.

Le critérium de l’autorité repose sur un phénomène plus complexe que celui du simple témoignage. Dans le cas de l’autorité, à l’action du témoignage s’ajoute en effet l’action produite par l’idée et l’émo-