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cette science ; cela est d’autant plus utile qu’il n’existe encore aucun livre traitant ces questions d’une manière complètement satisfaisante[1].

La première difficulté que l’on rencontre, dès le début de la science, tient à l’emploi malheureux du mot sensation, terme vague, qui donne lieu à des malentendus sans nombre. Wundt fait observer qu’il faudrait remplacer cette expression par appréciation de la sensation ; nous ne trouvons pas, non plus, cette formule complètement satisfaisante.

Mis en présence de deux choses A et B, nous les comparons et nous rapprochons ensuite cette appréciation des mesures physiques opérées sur elles. Les lois de Weber et de Fechner, les expériences faites pour les confirmer ou les corriger, n’ont point pour objet le phénomène interne de la sensation, la commotion nerveuse, les actes physiologiques qui suivent l’excitation ; on ne saurait donc dire qu’elles s’occupent de l’appréciation de la sensation ; elles traitent de l’appréciation des choses extérieures.

Il est très essentiel de bien se rendre compte de la grande différence qui existe, sur ce point, entre les psycho-physiciens et les physiologistes. Wundt décrit ainsi le phénomène[2] : « D’abord l’irritation physique est transformée en excitation sensorielle ; celle-ci en excitation nerveuse ; et cette dernière se convertit en processus centraux, qui accompagnent la sensation. » Pour beaucoup d’auteurs, tout se résume à une série d’ébranlements cellulaires, dont les effets viennent se combiner d’une manière mystérieuse dans certaines régions du corps.

Nous croyons qu’on se préoccupe trop en psychologie des recherches faites par les médecins sur le système nerveux ; ceux-ci sont guidés par les besoins de leur clinique ; il faut tâcher de détermine les régions dont la lésion, ou la congestion, apporte un obstacle invincible à l’accomplissement de certains actes. Les découvertes de ce| genre, si importantes pour le physiologiste, n’ont guère d’utilité pour le psychologue : celui-ci est trop souvent amené à essayer de combler par des hypothèses la lacune qui existe entre les deux ordres de

  1. Nous renverrons souvent à Wundt, Éléments de psychologie physiologique ; nous citerons d’après la traduction de M. Rouvier. Cet ouvrage si précieux n’est pas fait au point de vue psycho-physique ; l’auteur est un physiologiste philosophe ; nous aurons, plusieurs fois, à insister sur la grande différence qui existe entre les thèses psycho-physiques et les théories psycho-physiologiques. Dans un article publié, il y a quelques années, dans la Revue, nous avons souvent fait fausse route sur plusieurs questions essentielles, nous sommes obligés de définir, d’autant mieux, notre nouveau point de vue.
  2. Éléments, etc., t.  I, p. 364.