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B. BOURDON. — la certitude

bien plutôt des éléments du groupe total constituant une vérité. Cette conclusion est du moins implicitement contenue dans la théorie que nous admettons, en suivant sur ce point Wundt, que l’affectivité, c’est-à-dire l’aptitude à s’accompagner de plaisir et de douleur, est une propriété élémentaire de la sensation. Contre cette théorie, il est vrai, se sont élevées souvent des objections. Ç’a été, par exemple, une idée longtemps admise et qui semble en partie au moins contredire la précédente que le sentiment nuit à la clarté de l’image, que la perception est en raison inverse de l’émotion. Mais cette dernière hypothèse ne peut être soutenue que pour les cas d’émotion violente. Tant que l’émotion ne dépasse pas une certaine intensité, elle est certainement favorable à la clarté de l’image, ou, mieux exprimé, la clarté et un certain degré de plaisir vont toujours de pair. Chacun sait en effet que nous voyons, entendons mieux ce qui nous intéresse que ce qui nous laisse indifférents.

Si donc on admet la théorie de Wundt concernant les phénomènes de plaisir et de douleur, il s’en suivra que l’intérêt qu’on porte à une croyance n’est pas ce qui fait, à proprement parler, croire à sa vérité. D’une part, toute croyance s’accompagne nécessairement de phénomènes affectifs, et, d’autre part, l’intérêt particulier qui s’attache à certaines révèle simplement, chez celui qui l’éprouve, des dispositions fonctionnelles, soit héritées, soit acquises, qui actuellement entrent en action ainsi un Grec croyait à plusieurs Dieux non pas vraiment parce qu’il avait intérêt à y croire, mais parce qu’il était habitué à entendre dire qu’il en existait plusieurs ; et c’était cette habitude peu à peu développée en lui qui le faisait à la fois s’intéresser à la croyance à plusieurs dieux, avoir besoin de cette croyance et, bien plus, en conséquence des explications que nous avons précédemment données quand nous avons étudié la certitude au point de vue intellectuel, s’imaginer ces dieux sans doute avec une grande netteté[1].

  1. Il n’existe pas encore aujourd’hui de théorie scientifique du plaisir et de la douleur qui ait reçu l’adhésion du plus grand nombre et de tous les plus importants des psychologues. En France, notamment la doctrine que le plaisir et la douleur seraient des propriétés de la sensation a rencontré un certain nombre de sérieux adversaires. Cependant ces adversaires, lesquels se sont généralement placés sur le terrain de la psychologie pathologique, concéderaient, croyons-nous, et c’est tout ce que nous demandons, que, chez l’homme sain, les choses se passent comme si le plaisir et la douleur étaient des propriétés de la sensation. Au lieu de propriétés, on pourrait, à la rigueur, dire effets ; car on sait que la douleur, par exemple, se produit un peu moins vite que la sensation qu’elle accompagne