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ANALYSES.bergson. Données immédiates de la conscience.

gène est espace ou implique l’espace. » Or toute grandeur, même intensive, suppose une certaine homogénéité. Elle implique donc en quelque manière l’espace. Les états de conscience, qui sont inétendus, ne peuvent, par suite, être des grandeurs intensives. Il faut donc avouer qu’ils sont qualité pure. Les analyses psychologiques si fines et si délicates de M. Bergson sont des confirmations a posteriori de cette thèse. Il s’est proposé de séparer absolument la qualité de la quantité, comme il sépare absolument la durée vraie de l’espace. Mais, de même que peut-être la durée et l’espace ne sont pas réalisables l’un sans l’autre, — nous allons bientôt discuter ce point, — de même la qualité pure et la quantité pure sont-elles des abstractions, des sortes de limites, vers lesquelles la logique pousse l’esprit, qui ne les réalise pas. La qualité pure, que M. Bergson appellera plus tard « hétérogénéité absolue », échappe à nos prises. La qualité se définit, selon Aristote, διαφορὰ τῆς οὐσίας : cette διαφορά peut-elle se produire dans une « hétérogénéité absolue » ? L’autre suppose le même. Nous conclurons donc sur ce point. De ce que les états de conscience varient qualitativement, il ne s’ensuit pas qu’ils soient « qualité pure », et qu’on ne puisse leur attribuer une intensité croissante et décroissante. Cette intensité exprime le rapport (pour la conscience) entre une sensation et les autres du même genre. Sans elle nous serions hors d’état de penser nos sensations, et, par suite, de les organiser.

II. — La seconde partie de la thèse de M. Bergson est aussi, dans sa pensée, un lemme préparatoire à la troisième. Celle-ci contient la proposition capitale qui s’exprime ainsi : le déterminisme, sous toutes ses formes, provient de ce que la question de la liberté est mal posée : rien n’est plus évident que la liberté, qui est un fait, pourvu qu’on ne l’obscurcisse pas en voulant la démontrer ou seulement la définir. Mais en réalité, le nœud de la thèse se trouve dans cette seconde partie, et particulièrement dans la théorie de l’espace et du temps. Si l’on accepte cette théorie, on ne pourra se refuser aux conséquences que M. Bergson en a tirées.

M. Bergson commence par une théorie du nombre, originale et subtile. Le nombre est insuffisamment défini la synthèse de l’un et du multiple. Il faut ajouter : synthèse de l’un et du multiple, à l’aide d’une intuition dans l’espace. « L’espace est la matière avec laquelle l’esprit construit le nombre, le milieu où l’esprit le place » (p. 64). De là une distinction d’une importance capitale. Il y a deux sortes de multiplicité : la multiplicité des objets qui sont donnés ou pensés dans l’espace, et qui est multiplicité numérique par sa nature même, les objets étant perçus ou pensés comme coexistants et distincts les uns des autres ; — et la multiplicité propre aux états de conscience, qui n’est pas une multiplicité numérique, puisque tout nombre suppose l’espace, et que les états de conscience sont absolument inétendus. Cette dernière ne peut donc devenir une multiplicité numérique que par