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une conception nouvelle de la conscience, du temps et de la causalité sortant de cette critique.

I. — La première partie de la thèse traite « de l’intensité des états psychologiques ». Elle est préparatoire : c’est un lemme nécessaire à la démonstration du théorème, qui viendra plus loin, et qui constitue l’objet propre de la thèse. Dans ce premier chapitre, les états psychologiques sont considérés en eux-mêmes, isolément. Ces états varient sans cesse : comment varient-ils ? On a coutume de dire qu’ils croissent ou décroissent en intensité. Ainsi un sentiment est plus ou moins profond, une douleur plus ou moins vive, un son plus ou moins éclatant, un poids plus ou moins lourd, une lumière plus ou moins brillante, un effort plus ou moins énergique, etc. En d’autres termes, non seulement nos états de conscience sont de nature différente, mais chacun d’eux semble, tout en restant lui-même, parcourir une échelle de degrés. M. Bergson se propose de démontrer que cette interprétation ordinaire de l’intensité des états psychologiques est mal fondée, et qu’on a tort de les traiter comme des grandeurs, — intensives, il est vrai, — mais enfin comme des grandeurs susceptibles de croître on de diminuer. Selon lui, c’est introduire indûment l’extensif dans l’intensif, la quantité dans la qualité. Une étude attentive des faits conduit à constater que l’intensité n’est jamais une grandeur.

Remarquons d’abord que « nous appelons du même nom et nous représentons de la même manière des intensités de nature très différente, l’intensité d’un sentiment, par exemple, et celle d’une sensation ou d’un effort » (p. 6). Pour diviser la difficulté, nous distinguerons trois cas principaux : 1o l’effort musculaire ; 2o la sensation proprement dite, liée à la perception d’un objet extérieur ; 3o les états de l’âme qui paraissent se suffire à eux-mêmes, joies et tristesses profondes, passions réfléchies, sentiments esthétiques, etc.

1o Considérons ces derniers états et voyons en quoi consiste leur intensité. Elle n’est ici qu’une « certaine qualité ou nuance dont se colore une masse plus ou moins considérable d’états psychiques, ou, si l’on aime mieux, un plus ou moins grand nombre d’états simples qui pénètrent l’émotion fondamentale. » En d’autres termes, quand la joie ou la tristesse devient plus vive ou plus profonde, quand le sentiment semble croître en intensité, la vérité est qu’il varie qualitativement, non quantitativement. Il ne faut pas dire qu’il croit ou qu’il grandit, mais bien qu’il s’enrichit ou qu’il pénètre l’âme. « Par exemple, dit M. Bergson, un obscur désir est devenu peu à peu une passion profonde. Vous verrez que la faible intensité de ce désir consistait d’abord en ce qu’il vous semblait isolé et comme étranger à tout le reste de votre vie interne. Mais petit à petit il a pénétré un plus grand nombre d’éléments psychiques, les teignant pour ainsi dire de sa propre couleur ; et voici que votre point de vue sur l’ensemble des choses vous paraît maintenant avoir changé. N’est-il pas