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B. BOURDON. — la certitude

avons à considérer l’action que, selon certains philosophes, exerceraient sur elle la volonté et l’émotion. D’abord nous pouvons examiner un phénomène qui touche à la fois à l’intelligence, à l’émotion et à la volonté, ce phénomène que les Allemands appellent l’aperception. L’aperception, disons-nous, touche à tous les groupes importants de phénomènes psychologiques qu’on a coutume de distinguer. En effet, nous voyons Wundt l’identifier à peu près avec l’attention, et, d’autre part, chacun sait combien l’attention a de rapports étroits avec la volonté et comment elle s’associe ordinairement à un vif intérêt pour l’objet auquel elle s’applique. Qu’est-ce donc, en dernière analyse, que cette aperception ?

Si l’on pouvait aisément voir se former certains modes de l’aperception, il serait naturel qu’on fit, sur la nature de l’opération en général, l’hypothèse suivante : c’est que, là où l’on n’a pu assister à sa formation, elle a dû pourtant se développer comme nous pouvons parfois la voir se développer. En raisonnant ainsi, on irait du connu à l’inconnu, ce qui est toujours d’une bonne méthode. Or, en fait, il se forme des modes particuliers d’aperception dans le cours de la vie individuelle chez la plupart des hommes. C’est ce qui a lieu, par exemple, chez celui qui devient peu à peu patriote, mathématicien, etc. On n’affirmera pas que le patriotisme soit un sentiment inné. Mais peu à peu, par la vie en France, par tout ce qu’il voit et entend, un enfant français développe en lui, même sans le remarquer, une habitude telle que le mot France, au milieu d’un discours qui d’ailleurs le laisse indifférent, éveillera tout de suite son attention. Chacun peut faire l’expérience suivante : prendre un ouvrage allemand, par exemple, s’il sait un peu l’allemand et le feuilleter rapidement en jetant un coup d’œil d’ensemble sur chaque page. S’il feuillette assez rapidement, il pourra arriver à ne plus pouvoir reconnaître parmi les mots qui lui passeront sous les yeux que ceux qui correspondront à ses aperceptions les plus familières. Ce seront, par exemple, s’ils se présentent et s’il est patriote, les mots : Frankreich, französisch.

L’aptitude à apercevoir d’une certaine manière est ici comme dans beaucoup d’autres cas que chacun peut trouver le résultat d’une habitude. Elle est représentée physiologiquement par une disposition fonctionnelle comparable à celle qu’acquiert un muscle qui a souvent exécuté le même travail, et psychologiquement elle se manifeste par deux phénomènes que nous avons déjà signalés : la plus grande vivacité de l’image aperçue, la facilité et la rapidité de la perception et de l’association des éléments divers qui constituent l’image ; elle correspond à une tendance.