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B. BOURDON. — LA CERTITUDE

mémoire nous fournit d’ailleurs en général un excellent critérium pour juger de la netteté relative des images visuelles que quelqu’un peut avoir dans l’esprit, comme le chant de mémoire nous en fournirait un excellent aussi pour juger de la netteté des images auditives.

Mais, en même temps que la répétition avive ainsi les images semblables, en tant que chacune de ces images forme d’autre part un tout complexe, résultant d’une association par contiguïté d’éléments différents entre eux, le lien qui réunit ces éléments se trouve lui-même devenir de plus en plus fort.

Quoique, incontestablement, quand nous affirmons une vérité générale, les images que nous avons dans l’esprit aient une intensité relativement grande, d’autant plus grande qu’elles sont plus nombreuses, à la manière encore d’une société qui, toutes autres conditions égales, est d’autant plus forte qu’elle comprend plus de citoyens, cependant il n’est pas douteux que jamais cette intensité n’atteint le degré de celle qui appartient aux images de la perception. C’est ce qui explique pourquoi nul de nous n’est aussi certain même de la plus sûre en apparence de ses vérités générales qu’il l’est de ses perceptions. La preuve que même les plus convaincus dogmatistes ne sont pas absolument sûrs de la vérité par exemple des lois physiques, c’est qu’ils ont besoin de recourir à des principes qui leur garantissent l’invariabilité de ces lois et c’est en s’appuyant sur ces principes qu’ils résolvent le fameux problème de l’induction. Qui, au contraire, a jamais songé à recourir à un principe qui lui garantit la certitude qu’il a si naturellement d’avoir sous les yeux le livre dans lequel il lit ?

Nous avons déjà vu comment la vivacité des images et la rapidité avec laquelle elles se présentent à la conscience sont, toutes conditions égales, proportionnelles. Envisagée par rapport à l’action qu’elle exerce sur le développement de la rapidité d’aperception, la répétition d’images semblables produit ce qu’on appelle une tendance, c’est-à-dire une disposition à apercevoir plus facilement et plus rapidement toute image qui ressemble aux images précédemment répétées. Plus la répétition qui a causé les tendances a été longue, plus elles ont acquis de force et plus la certitude qui se produit sous leur influence est rapide. C’est pourquoi les vérités qui se rattachent à nos tendances fondamentales, à celles que nous partageons avec les animaux, se manifestent vite chez tous les hommes. De très bonne heure on sait d’une manière certaine que le pain est bon à manger, la bière, le cidre, le vin bons à boire. Au contraire la majorité des hommes resteront toute leur vie ignorants de vérités scientifiques même élémentaires, mais qui ne se rapportent pas à leurs tendances naturelles. Là est l’explication