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J. PAYOT.sensation, plaisir et douleur

II

Deux cas peuvent se présenter dans cette réaction à une impression externe : ou les forces de surcroît produites par la surélévation du ton vital suffisent à la dépense, ou bien elles ne suffisent pas. Dans le premier cas il y a plaisir, dans le second, douleur. Sensation, plaisir et douleur sont phénomènes indissolublement liés. Le plaisir et la douleur ne sont que des cas particuliers de la sensation, de toute sensation : ils ne sont autre chose que la constatation par la conscience d’un rapport entre le doit et l’avoir en forces. Ce rapport varie avec l’âge, avec l’état de santé, avec l’état de la nutrition : il n’est jamais le même à deux moments successifs de l’existence, de sorte que le plaisir et la douleur ne sont jamais des états qui sont, mais des phénomènes qui se trouvent en un perpétuel devenir, comme le rapport changeant qu’ils expriment.

À première vue, cette vérité paraît être un pur paradoxe : c’est que la localisation assez nette que nous faisons de nos plaisirs et de nos douleurs voile leur caractère essentiel. Mais plus encore que pour la sensation, cette localisation est purement illusoire. Certains faits le prouvent : des malades très sensibles à la douleur sont incapables de la localiser nulle part[1]. À l’état sain, nous localisons d’autant plus nettement que l’impression que cause la douleur agit sur clés organes plus susceptibles de mouvements : les douleurs du tact, de la bouche, des divers sens, sont beaucoup mieux localisées que celles des viscères ; celles des viscères journellement en contact avec des corps à contours assez nets le sont mieux que celles des viscères en contact avec les aliments déjà réduits en bouillie : celles de l’œsophage sont mieux localisées que celles de l’estomac, celles de l’estomac que celles de l’intestin ; celles-ci à leur tour le sont d’une façon moins confuse que ne le sont les douleurs des reins, de la rate, etc.

Les médecins se plaignent que les malades localisent fort mal leurs douleurs lorsqu’elles sont d’origine interne. Nous les localisons passablement parce que nos études d’anatomie nous ont familiarisé avec la place des divers organes et que nous suppléons par des pressions exploratrices externes à l’absence d’indications internes. Mais, les ignorants ne peuvent aucunement localiser la douleur produite par la faim ; de plus cette localisation n’est pas toujours nette, même pour les douleurs d’origine périphérique, pour peu qu’elles

  1. Voir un cas cité, Psychol. allem, Ribot, p. 113.