plein moyen âge. Il n’est pas inutile de le rappeler. Au fait, la question se débat entre nominalistes et réalistes. Les premiers n’admettent point l’existence d’une philosophie espagnole, pour des raisons qui ne semblent pas péremptoires à leurs adversaires. Si peu voltairiens qu’ils soient, ces derniers se sont souvenus du vers de Voltaire :
Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer.
C’est une belle chose que l’invention, et les inventeurs, en général, passent pour des intelligences d’élite. Découvrir, c’est quelque chose ; mais inventer, c’est autre chose. On ne découvre que ce qui est ; on n’invente que le reste, ce qui n’est point. Va donc pour l’invention. On ne saurait trop se mettre en frais pour confondre les sceptiques et les incrédules ; ces derniers surtout, moins rares en Espagne qu’on pourrait le croire. La crédulité excessive peut produire par réaction l’incrédulité, l’impiété, la négation de bien des choses nécessaires aux gens de foi. Il y a un proverbe espagnol qui prétend que le diable a coutume de se masquer derrière la croix. On ne saurait mieux définir l’hypocrisie religieuse. Les vrais croyants, en Espagne, ceux qui confondent la foi et le patriotisme, et qui prisent par-dessus tout l’uniformité religieuse, d’où ils font dériver l’unité nationale, les unitaires, en un mot, qui ne désavouent rien du passé, ne sauraient admettre que la foi orthodoxe, à laquelle la nation doit son unité, son existence pour mieux dire, ait pu nuire en rien au bien-être, au progrès, à la prospérité de la nation espagnole. Il faut donc être fervent catholique pour être bon patriote ; et le vrai patriotisme consiste à dire le plus de bien que l’on peut de son pays, dût-on même passer les bornes, en disant plus de bien que l’on n’en sait, suivant le privilège de l’invention et la sentence de l’apôtre : Caritatis non est excessus ; on ne pèche point par trop de charité. Le positif ne saurait ramener au sentiment du réel ceux qui par principe ou par habitude vivent dans l’absolu. Rien n’est plus ingénieux que le fanatisme qui ne peut plus user de la raison du plus fort : le loup se fait renard, et la ruse et l’astuce succèdent aux procédés violents. C’est là un progrès dont l’Espagne elle-même a ressenti les bienfaits : la force tend à se réconcilier avec le droit. Il est singulier, tout de même, qu’on soit obligé de raisonner avec le parti qui était jadis condamné au silence, quand il ne subissait pas la prison, la torture ou la mort. La raison du plus fort n’est pas la meilleure à perpétuité. Puisqu’il le faut, raisonnons donc, disent aujourd’hui les défenseurs du passé. On ne soutient pas de thèses sans raisonner bien ou mal.
La thèse est simple de part et d’autre, et très nettement posée. Il