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On a fait un opéra des folies d’Espagne. C’est un livre qu’il faudrait faire sur le même sujet, et qui serait également utile au moraliste et au médecin. Les causes de la grandeur et de la décadence de l’Espagne sont assez connues ; mais elles le sont beaucoup plus des étrangers que des Espagnols, bien que quelques-uns d’entre eux aient le courage de les reconnaître et la franchise de les signaler ; un surtout dont les articles, publiés dans la Revista contemporánea, avec ce titre significatif : Los males de la Pátria, sont un heureux symptôme ; car il est bien compromis, le malade qui ne sent pas son mal, qui n’en a point conscience. Les révélations impitoyables de M. Lucas Mallada sont autrement intéressantes et salutaires que les considérations optimistes du sceptique M. Valera. En ce moment, il y a en Espagne quatre cent quatorze mille propriétés mises en séquestre ; autant dire improductives, parce qu’elles ne peuvent payer l’impôt foncier qui ruine la terre et ceux qui l’arrosent de leurs sueurs.

Cette misère du sol n’est rien en comparaison de celle des esprits. Il y paraît au désordre profond, au désarroi des idées, à l’anarchie intellectuelle et morale qui sévit plus que jamais, comme un terrible fléau, particulièrement dans le monde des lettres. À quelques exceptions près, la gent littéraire, en Espagne, ressemble beaucoup à ces malheureux que le poète représente comme ayant perdu le bien de l’intelligence. S’il était possible de croire à la raison impersonnelle, on admettrait volontiers la déraison générale de ces hommes de plume qui se donnent la mission d’éclairer le public. Évidemment le milieu influe d’une manière désastreuse sur la production cérébrale, sans que la très grande majorité des producteurs s’en doute le moins du monde. À défaut d’autre originalité, c’en est là une très réelle, et qui imprime à la production plus que banale de l’Espagne pensante un cachet particulier. Rare et triste distinction !

Il n’y a point de philosophie en Espagne, ni d’études philosophiques. Mais ce que s’y permettent les prétendus philosophes qui ressassent des vieilleries, dépasse tout ce qu’on peut imaginer de plus vide, de plus creux, de plus prétentieux et de plus faux, enveloppé d’un jargon et d’un galimatias qui rendent la forme tout à fait digne du fond. Mais c’est là un autre sujet, bien qu’il ne soit pas sans rapport avec la philosophie espagnole, laquelle est un mythe pour les uns, et pour les autres une réalité, soit dit sans jeu de mots.

On sait que les réalistes tenaient pour réelle toute conception de l’esprit. Ce réalisme de l’école est le père de presque toutes les hallucinations de la métaphysique, et il fleurit en Espagne comme en