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B. BOURDON. — LA CERTITUDE

nous nous vu hier pour la première fois un homme, nous le reconnaîtrons peut-être aujourd’hui tout de suite à la simple vue de sa photographie. Ce fait a une importance considérable. Il en résulte que nous ne pouvons éviter, quand quelque idée nous vient, qu’il ne surgisse en nous l’idée ou les idées antérieurement acquises qui lui ressemblent beaucoup. La condition la plus favorable pour qu’on puisse remarquer le fait, c’est que, sans être extrêmement semblables, les images le soient cependant à un haut degré. Extrêmement semblables, elles s’évoquent trop vite Tune l’autre pour qu’il y ait conscience nette de chacune en particulier ; ainsi, en voyant un ami à deux heures d’intervalle, nous ne dirons même pas que nous le reconnaissons. Mais nous le dirions peut-être si nous le rencontrions demain rasé, autrement habillé qu’hier. Nous dirons encore que nous reconnaissons tel homme illustre. Dans ce dernier cas, le phénomène de la présence dans l’esprit de deux images, celle de l’homme illustre présentement aperçu, celle de ce même homme vu autrefois, est très apparent.

C’est par cette suggestion rapide des idées semblables Tune par l’autre que s’explique le phénomène des idées et vérités générales. Pour bien comprendre ce qu’est une idée générale comparée à une idée particulière, on peut noter que l’une et l’autre sont essentiellement de même nature ; l’idée particulière, l’idée de tel homme, est en effet, par exemple, une perception actuelle qui fait surgir, trop vite pour que la conscience les aperçoive toutes, les images antérieures du même homme, lesquelles, sans être remarquées, sont pourtant la cause que l’on peut dire qu’on connaît cet homme ; au contraire l’idée générale implique que les idées éveillées semblables soient quelque peu conscientes, c’est-à-dire ne soient pas trop semblables, sans quoi la fusion se produit trop vite. Une dernière condition, difficilement réalisée chez l’homme du peuple, c’est que l’attention se porte sur elles toutes à la fois et non sur telle d’entre elles, car, dans ce dernier cas, on aurait une idée particulière[1]. Bref, dans une idée particulière, Pierre, il y a autant de complexité que dans une idée générale, l’on a en réalité présentes à l’esprit une

  1. Ce cas est celui qui tend d’ailleurs toujours à se produire quand l’attention apportée à l’idée générale se prolonge. Dans des expériences que j’ai faites sur ce sujet avec quelques jeunes gens en prenant des mots que l’un prononçait, tandis que les autres inscrivaient immédiatement la première idée qui, à l’audition de ces mots, leur venait à l’esprit, le caractère particulier des idées ainsi notées était parfois extrêmement frappant. Ainsi le mot ce éveille chez G. l’idée du porte-plume qu’il tient à la main, chez L. celle du cahier sur lequel il écrit. Le mot toi fait penser L. à G. qui est en face de lui, autre fait également penser L. à G., et bien d’autres exemples analogues.