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Espagne, ni les cours de philosophie. Mais où sont les savants, où sont les philosophes espagnols ? Connus dans le monde officiel dont ils font partie, ils n’ont point de notoriété hors de la zone administrative. Voilà brutalement la vérité, toute la vérité, sans atténuation ni excuse.

Si la philosophie consiste à voir les choses comme elles sont, en realidad de verdad, selon la formule de Cervantes, les quelques écrivains espagnols qui s’évertuent à prouver qu’il existe une Espagne philosophique et une philosophie espagnole, ne prouvent en somme, malgré tout leur patriotisme, qu’une chose dont ils ne se doutent point, savoir qu’ils entendent à leur manière, à l’espagnole, les mots philosophie, philosophique, philosophe et philosopher. S’ils savaient au moins cela, il est probable que le panégyrique pompeux et agressif, dont ils abusent comme des rhéteurs, ferait place à la critique impartiale et bien informée. En attendant cette évolution, il ne paraît pas sans intérêt de connaître la manière de voir de quelques littérateurs espagnols contemporains sur les philosophes de leur pays, et les raisons qu’ils font valoir en faveur d’une thèse qu’il est plus facile de poser que de soutenir.

I. — Les Optimistes.

Il y a déjà quelque temps que l’idée d’une philosophie espagnole a germé en Espagne. Pour ne pas remonter jusqu’à Pablo Forner, dont le discours apologétique (Madrid, 1786, in-8o) est une véritable apothéose du génie espagnol, on la voit poindre, cette idée, dans l’utile compilation de feu le Dr Hernandez Morejon sur l’histoire de la médecine espagnole, et grandir dans le fatras du compilateur Chinchilla, qui a traité le même sujet en amplifiant, avec une ferveur de patriotisme qui peut à peine excuser son perpétuel plagiat ; car ce ramassier n’est que le singe de l’honnête et pesant H. Morejon.

Comme Forner, ce laborieux bibliographe ne pouvait croire à l’infériorité de sa patrie en aucun genre. D’après lui, l’Espagne a eu des clartés de tout, sinon des lumières capables d’éclairer le monde. Tel médecin, réputé philosophe, est mis par lui bien au-dessus de Locke, de Leibniz, de Newton. Il n’était pas éloigné de croire que l’Espagne a eu sa philosophie, comme elle a eu sa médecine ; et comme il était philosophe, ou croyait l’être, il n’a rien négligé pour soutenir une thèse qui fut bien accueillie dans les universités espagnoles. Cependant, comme il paraît difficile de faire quelque chose de rien, les plus ardents se bornèrent à faire des discours, des dissertations et des déclamations sur la matière, en