Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/48

Cette page n’a pas encore été corrigée
38
REVUE PHILOSOPHIQUE

pour simplifier, nous ne considérerons, dans ce qui suit, que des différences correspondant à des différences d’organes.

Même s’il s’agit de perception, quand deux organes différents doivent entrer simultanément enjeu, il en résulte, comme nous l’avons déjà vu, une condition défavorable pour l’établissement d’une certitude positive solide. Ainsi nous voyons un corps et nous entendons un bruit sans pouvoir être parfaitement sûrs que c’est le corps en question qui produit le bruit. Ce simple fait prouve clairement que, dans les cas semblables, la certitude résulte d’un travail mental, non d’une perception immédiate. Ce travail mental a lui-même ses conditions. Il est facilité avant tout par la répétition des expériences, laquelle, comme chacun sait, produit en nous l’association des idées. Cette action de la répétition est tellement puissante qu’elle peut arriver à supprimer toute conscience de la différence : c’est ainsi que le peuple arrive à ne savoir pas distinguer un mot de l’idée qu’il signifie. Nous ne doutons jamais que les objets que nous voyons soient durs, pesants, etc., que les sons que nous entendons signifient telles idées. La localisation d’un souvenir dans l’espace ou le temps n’est elle-même, comme on sait, qu’une place fixe que prend l’image considérée dans une série, dans un groupe dont tous les éléments sont également les uns par rapport aux autres disposés dans un ordre invariable ou relativement invariable. La répétition fixe de plus en plus cet ordre en même temps qu’elle avive les images ; et tout cela contribue à augmenter la certitude du souvenir.

Quand les images rattachées l’une à l’autre se ressemblent beaucoup plus qu’elles ne diffèrent, alors apparaissent des phénomènes intéressants, tels que les idées et vérités générales.

Une image ne tend pas fortement d’elle-même à évoquer une image de nature différente. Les cas d’audition colorée, c’est-à-dire de sons évoquant immédiatement des couleurs, constituent des exceptions. La règle, c’est qu’il faut des répétitions, des chemins se frayant peu à peu dans le cerveau pour qu’un son en vienne à évoquer rapidement une couleur[1]. Au contraire, sans doute parce que ce sont des parties contiguës ou identiques du cerveau qui fonctionnent, une image tend à éveiller immédiatement toute image qui lui ressemble ; la rapidité de l’éveil est en raison directe du degré de ressemblance. C’est ce qu’on pourrait exprimer en disant que l’association par ressemblance peut se faire sans répétition ; ainsi, avons--

  1. Nous ne nions pas qu’il y ait dès la naissance des chemins en partie frayés. Par exemple on a des raisons anatomiques et psychologiques de supposer que les centres dits moteurs sont dès la naissance en relation particulière avec les centres auditifs.