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sible qu’une matière parfaitement homogène et sans qualité tombe jamais sous le témoignage des sens. Cette matière est passive, inerte, elle ne contient aucun pouvoir, aucune force mystérieuse, en vertu de laquelle elle puisse causer le moindre changement, elle n’est qu’un simple substratum destiné à rendre intelligibles le changement et la succession des changements. C’est même parce que la substance matérielle, simple condition du changement, est incapable d’agir et de causer, que nous devons toujours admettre la parfaite équivalence des causes et des effets. L’effet n’est qu’un mouvement considéré par rapport à un autre mouvement que nous appelons cause, ce n’est que le mouvement-cause continué, prolongé ; et, si aucune action métaphysique émanée de la matière ne vient ajouter ou retrancher quelque chose au mouvement commencé, il est clair que l’effet ne contiendra rien de plus que la cause.

De ces deux concepts de substance et de cause, la psychologie n’en conserve qu’un, celui de cause. Le concept de substance, en effet, étant donnée la nature des phénomènes étudiés par le psychologue, ne peut l’aider en rien dans la construction du système de conditions et de conséquences qu’il se propose d’édifier. La physique, qui veut être la science de l’objectif, a besoin du concept de substance pour se créer un monde dont les lois soient valables pour toute intelligence. Mais la psychologie, science du monde subjectif, applique directement le principe de causalité aux données de l’intuition consciente. Le physicien ne peut comprendre la connexion objective des phénomènes qu’au moyen d’une hypothèse semi-métaphysique, le psychologue voit directement comment les faits intérieurs s’enchaînent. Il n’a donc autre chose à faire que d’analyser les phénomènes tels qu’ils se présentent à lui, d’en distinguer les éléments simples et de déterminer les relations constantes de condition et de conséquence qui existent entre ces éléments. Quant à l’unité du sujet pensant, que tant de psychologues croient inexplicable sans l’hypothèse d’une substance immatérielle, simple et immuable, M. Wundt croit pouvoir en rendre compte par l’analyse des faits de conscience. L’idée de l’unité et de l’identité de la personne n’a d’autre source que le sentiment immédiat de l’activité aperceptive qui accompagne tous nos états intérieurs, les relie entre eux, leur donne toute leur cohésion. Cette activité n’est pas, il est vrai, absolument immuable, mais en face du flot des représentations, elle a, comme nous l’avons vu, une unité et une constance qui suffisent parfaitement à expliquer l’idée que l’homme, non prévenu de conceptions métaphysiques, se fait de sa personnalité.