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visuelles, sont immédiatement données dans ma perception. Mais elles exercent une action si énergique, par exemple sur les images tactiles que me fournit mon souvenir de la dureté de la pierre, qu’il m’est impossible, autrement que d’après des vues théoriques, d’affirmer que tout dans mon image complexe de la pierre ne soit pas perception immédiate. Nous remarquons donc ici un fait d’ailleurs général de la vie mentale, c’est que les images s’avivent les unes les autres, et parfois à un degré considérable ; voici quelques autres exemples de ce fait : il nous arrive fréquemment de songer à une personne et de constater qu’il nous est impossible de nous rappeler sa physionomie ; si pourtant nous rencontrons cette personne, nous la reconnaîtrons ; des images de souvenir peuvent de même en aviver d’autres ; c’est ainsi que la répétition mentale d’une leçon donne au souvenir de cette leçon une vivacité particulière ; au fond, en quoi consiste essentiellement ce qu’on appelle l’éveil d’une idée par une autre ? simplement en une augmentation de l’intensité de la première par la seconde[1]. Ce phénomène semble avoir échappé à la plupart des psychologues, parce qu’ils ont en général abordé l’étude de la vie mentale avec l’idée préconçue que l’esprit se forme peu à peu par l’addition pure et simple d’idées nouvelles aux anciennes. Mais cette idée est aussi inexacte que celle des sociologistes qui prennent la société pour une simple agglomération d’individus. De même que la société n’existe que là où il y a, non seulement agglomération, mais encore sympathie réciproque et coopération accroissant et multipliant les effets produits par chaque effort individuel, de même toute vie mentale implique une action sympathique constante de toutes les images groupées, est une vie sociale. Cette action sympathique s’observe, comme nous venons de le voir, avec la plus grande facilité, dès qu’on s’applique à la constater[2].

Dans la perception proprement dite, l'association forte des images requise pour qu’il y ait certitude positive dépend au plus haut degré, lorsque ces images sont sensiblement différentes, d’une condition dont nous aurons encore à parler plus tard, savoir de la répétition de leur union. Le phénomène est très apparent si nous considérons, par exemple, la perception du bruit produit par un objet. Aucun homme, arrivant dans une ville qu’il va visiter pour la première

  1. Voici encore un exemple intéressant. Un malin, en m’éveillant, je constatai que je ne pouvais entendre le tic tac d’une pendule placée en l’ace de mon lit qu’à la condition de regarder en même temps le balancier osciller. Autre exemple que chacun peut vérifier : on entend et comprend mieux un orateur qu’on aperçoit que celui qu’on n’aperçoit pas.
  2. Des faits très intéressants et qui viennent à l’appui de ce qui précède se trouvent relatés dans Binet, la Vision mentale (Rev. philos., avril 1889).